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"L'arme
fatale du mérite"
par Francois Bégaudeau (Enseignant et écrivain)
Depuis
que traîne l'idée de rémunérer les profs au mérite, cela devrait
être fait. A croire que quelque chose résiste à cette réforme
pourtant présentée comme frappée au coin du bons sens par ses
thuriféraires toujours plus nombreux.
Son
perpétuel report tient moins à la supposée réticence d'enseignants
allaités à la culture de l'emploi à vie qu'à la notion de mérite
elle-même, d'autant plus inconsistante qu'appliquée au corps
professoral. Qu'est-ce qu'un prof méritant ? Celui dont les
élève obtiennent de bons résultats ? Oui, mais
on sait bien que les 100% de bacheliers de Henri IV sont redevables
à leur environnement culturel et social beaucoup plus qu'à
leurs profs. Celui qui fait progresser ses élèves,
de quelque niveau qu'ils partent ? Mais sait-on jamais à
quoi tiennent les progrès ? Qui dira si les résultats
en français de Léo ont décollé du fait
de la qualité des cours de M.Pichon, ou parce qu'il a découvert
Rimbaud par amour pour Louise qui lui en a conseillé la lecture
? C'est la grande tranquillité et la grande ingratitude du
métier de ne pouvoir s'attribuer ni les échecs ni
les succès d'un élève.
Sourdement
affolés par ces apories, les méritistes s'en remettent
à l'évidence. Il y a une semaine, à la télé,
un essayiste libéral sur le retour : m'enfin tout le monde
sait bien qui sont les bons profs, les parents d'élèves
le savent bien,etc.! Oui, les parents d'élèves le
savent si bien que (Eric Maurin le rappelle dans "La Nouvelle
Question scolaire), soumis à un choix d'établissement
pour leur progéniture, ils optent simplement pour le plus
riche, ne disposant d'aucun critère viable pour évaluer
la qualité des équipes pédagogiques.
On
voit bien néanmoins ce que désigne "l'évidence"
: il y a des profs dont les cours se passent sans heurts, dont les
élèves se plaignent peu. Mais précisément,
rêverait-on meilleure gratification qu'un cours qui n'ennuie
pas trop ceux à qui il est destiné ? Si un prof peut
être dit "méritant", c'est en tant que son
travail est aussitôt payé de retour par l'attention
de ses élèves, et donc des conditions de travail saines,
et donc le plaisir d'enseigner. Nul besoin, donc, de substituer
à cette inestimable récompense de bien dérisoires
compléments de salaire. Ceux-là ne feraient que redoubler
la pression liée à la nécessité de reconduire
à chaque heure les efforts pour tenir une classe. De la compétition
et du challenge, le prof en a bien assez comme ça. Ajoutez
des primes au mérite, vous verrez qu'il ne se trouvera bientôt
plus personne pour épouser ou continuer à épouser
une carrière devenue un champ de bataille en même temps
qu'un parcours du combattant. C'est peut-être le but, du reste.
Le mérite comme boule puante pour faire fuir les profs, et
qu'on n'en parle plus.
- Propos
de Philippe Meirieu sur l'enquête PISA.
La
lecture et l'analyse détaillée de l'enquête
PISA 2006, consacrée au niveau des élèves de
l'OCDE en matière scientifique, devra se faire sur la durée
et de manière minutieuse. Il faudra regarder de très
près les résultats, mais aussi la formulation des
exercices, la méthode pour calculer et comparer les performances.
Il faudra également, avant de faire des comparaisons avec
les enquêtes antérieures, s'interroger, point par point,
sur la légitimité de ces comparaisons : des épreuves
différentes, même référencées
dans des " niveaux " identiques, ne peuvent être
considérées comme homogènes
Bref, tout
un travail scientifique reste à mener et il conviendra d'y
associer les professeurs français, en particulier, bien évidemment,
les professeurs des disciplines scientifiques en collège.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que toute entreprise de mesure
choisit ce qu'elle veut mesurer. Elle sélectionne donc, dans
les savoirs, ceux qu'elle privilégie. À cet égard,
il faudra se demander, sans aucun tabou, si nous nous reconnaissons
ou pas dans les choix de PISA. Il ne serait nullement honteux d'affirmer
que certaines exigences de PISA nous paraissent secondaires et qu'en
revanche, l'enquête ne s'intéresse pas aux objectifs
que l'on considère comme importants, voire essentiels. Pour
ma part, par exemple, je considère que PISA ne donne pas
assez de place à l'histoire des sciences
Il n'est pas
certain - loin de là - que, si cette dimension avait été
mieux mesurée, les élèves français auraient
été meilleurs, mais cela permet de rappeler cette
évidence : toute évaluation est d'abord une évaluation
de l'évaluateur qui, par ses items et ses méthodes,
dit ce qui, à ses yeux, " a de la valeur ". Plus
profondément encore, il faut interroger " la culture
de l'évaluation " et ses présupposés idéologiques
: n'y a-t-il pas des missions de l'école qui échappent
à une évaluation quantitative ? Ne faut-il pas résister
au pilotage par les résultats ? Nous fonctionnons trop ici
avec des lieux communs, de plus en plus puissants, et qu'il faudrait
absolument interroger. Cette interrogation est d'autant plus importante
que certains pays qui se trouvent en tête dans l'enquête
PISA ne sont nullement, à mes yeux, des modèles sociaux
et politiques acceptables
Cela dit, inutile de nous cacher la vérité : PISA
2006 est mauvaise pour le système éducatif français.
Nous régressons dans tous les classements et, dans un domaine
dont chacun s'accorde à reconnaître l'importance -
la culture scientifique et technique -, nous faisons piètre
figure.
Sous réserve d'une étude plus approfondie, on peut
déjà tirer quelques enseignements :
1) S'agissant du niveau des jeunes de 15 ans et compte tenu de la
nature des questions, il ne peut être question (contrairement
à ce qu'on a fait trop souvent) d'incriminer l'école
primaire. D'autant plus que les élèves français
de 15 ans dont le " niveau " est en baisse par rapport
à 2003 avaient déjà quitté l'école
primaire à l'époque. C'est donc bien le collège
français qui est en cause ici.
Un collège
" qui peine à trouver une identité,
" qui ne sait pas vraiment travailler de manière active
et interdisciplinaire avec les élèves,
" qui trie quand il faudrait former,
" qui impose un parcours du combattant quand il faudrait mobiliser
les jeunes sur une culture commune exigeante et attractive,
" qui évalue trop et de manière négative
quand il faudrait promouvoir un suivi personnalisé systématique
capable de valoriser et d'accompagner chacun dans la réussite.
Nous payons au prix fort le manque de courage politique dans ce
domaine, les réformes en trompe l'il, la désaffection
des initiatives comme les Itinéraires de découverte.
Depuis longtemps, de nombreux chercheurs considèrent qu'il
faut cesser de considérer le collège comme un "
petit lycée " et s'engager dans une refonte en profondeur
des champs disciplinaires et des méthodes pédagogiques.
Il est temps de s'y mettre.
2) Même si l'on peut discuter la manière dont ces objectifs
sont évalués par PISA, l'enquête cherche à
mesurer la capacité des élèves à "
extrapoler ", " appliquer des connaissances dans des situations
nouvelles ", " élaborer des hypothèses et
les vérifier ", etc. Autant dire qu'elle privilégie,
à juste titre, les savoirs transférables, l'autonomie
intellectuelle, la compréhension des problèmes plutôt
que la restitution des solutions. Le moins qu'il nous faudrait faire
serait de nous demander si, en dépit de quelques injonctions
dans les programmes, c'est bien ce type de travail qui est développé
en France, dans les classes et au quotidien. À cet égard,
la fragmentation des disciplines scientifiques au collège,
l'organisation du temps et de l'espace d'enseignement, l'équipement
des salles de classe, les relations entre l'école et la Cité
sont, évidemment, à interroger.
3) Ce qui frappe, dans les résultats de PISA 2006, c'est
le fait que la France se caractérise moins par un mauvais
nombre de " bons " et " très bons " élèves
que par des chiffres très médiocres, voire mauvais,
d' " élèves faibles ". Notre retard est
surtout là : nous avons beaucoup plus d'élèves
dans les catégories 1, 2 et 3 (catégories qui témoignent
de difficultés à expliquer un phénomène,
à élaborer un raisonnement) que les autres pays dont
l'investissement éducatif, le niveau de vie, le revenu moyen
sont comparables au nôtre. Voilà qui confirme encore
bien des analyses sur les problèmes de notre pays pour scolariser
convenablement les élèves les plus fragiles. Voilà
qui devrait nous inciter à reprendre au sérieux la
formule qui a présidé à la mise en place des
ZEP en 1981 : " Plus et mieux à ceux qui ont moins.
" A condition, bien sûr, de s'interroger sérieusement
sur ce " plus " et ce " mieux " afin de mettre
en uvre concrètement le droit à l'éducation
pour tous.
4) Enfin, et au-delà des différences entre pays, l'enquête
PISA pointe des questions essentielles qui nous sont communes sur
bien des points : la différenciation des résultats
entre filles et garçons, la compréhension de l'écrit
dans les disciplines " non strictement linguistiques ",
le rapport entre la culture scolaire, la " culture jeune ",
le patrimoine culturel et la culture en construction, la place des
médias, les méthodes de traitement de l'information,
etc. A cet égard, comme à d'autres, il convient de
discuter largement cette enquête et ses résultats.
Pas question de la totémiser. Mais pas question de l'ignorer
non plus.
Philippe Meirieu
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