Le fil d'Ariane et la problématique de l'apprentissage

 

  •  Attention formation CAPA SH en danger : des changements en vue, pour quelle(s) amélioration(s)????

    Je commencerais ce propos en citant (avec son autorisation) des écrits de Daniel Calin (Cf son site) qui me semblent très éclairant quant au danger qui se prépare
    pour les formations à venir si nous pouvons parler encore de formation ou du moins jusqu'à quand pourrons-nous en parler ?

Extrait site de D. Calin :
" La redéfinition simplificatrice des options du CAEI en 1984 puis la substitution du CAPSAIS au CAEI en 1987 marquent le lancement d'une politique de destruction progressive de l'enseignement spécialisé, poursuivie méthodiquement par tous les gouvernements ultérieurs. Cette politique est passée, entre autres choses, par la suppression d'un des deux centres nationaux (le CNEFASES de Beaumont, le plus ancien, le plus solide et le plus créatif) et surtout par le laminage progressif des Centres Régionaux de formation à l'enseignement spécialisé au profit d'une dispersion des formations dans tous les IUFM, voire dans toutes les antennes départementales des IUFM. Cette dispersion interdit la constitution d'équipes de formateurs spécialisés suffisamment nombreuses et stables pour inventer, porter et transmettre des cultures professionnelles fortes. Formateurs isolés et fragilisés, enseignants moins bien formés, après avoir à ce point fragilisé les personnes susceptibles d'incarner l'idée même de spécialisation, il devient facile de l'éliminer.
Nous ne donnons pas le même sens à formation, et si les textes de 2004 ont fait passer le temps de formation de 700 heures à 400 ils évoquent aussi : " Il est institué un certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH) destiné à attester la qualification des enseignants du premier degré (...) " Il s'agit donc de qualifier des personnels, histoire que les statistiques ne fassent plus apparaître le nombre important de postes pourvus par des " faisant fonction ". L'esprit d'une formation de qualité n'est pas conforme à la logique marchande qui continue de justifier les réformes en cours : une information semble suffisante.
Si rien ne vient contrarier ce mouvement, élément mineur du vaste mouvement de destruction des services publics, la dernière étape consistera probablement à prétendre former tous les enseignants à l'accueil des élèves handicapés ou en grande difficulté, dans le cadre de leur formation initiale, par le biais de formateurs désormais dépourvus eux-mêmes de toute spécialisation. Il ne manque pas d'idéologues pour préparer le terrain à cette ultime étape. J'ai déjà écrit ailleurs le mal qu'il fallait penser de cette absurdité.
Pour conclure, que souhaiteriez-vous voir mis en œuvre pour une meilleure intégration / scolarisation des enfants handicapés ?
D'abord ne pas confier cette mission complexe, délicate, toujours douloureuse, à des politiques et/ou à des idéologues. Ni aux seuls parents, toujours profondément touchés, et qui ont besoin par conséquent de médiateurs professionnels, sinon neutres, mais du moins à distance suffisante pour les aider à penser raisonnablement l'intérêt de leur enfant.
Ensuite, soutenir les systèmes d'articulation souples et évolutifs entre milieu ordinaire et milieu spécialisé, déjà existants mais abandonnés aux bonnes volontés.
Enfin, renforcer la formation des enseignants spécialisés au lieu de la détruire progressivement comme tous les gouvernements successifs l'ont fait depuis 20 ans. Affiner les spécialisations au lieu de les détruire. Construire des pôles de formation forts, au lieu de disperser les formations... là où il n'existe pas de formateurs ! "

Je crains fort que le laminage des formations se poursuive : sur notre Académie (6 départements sont concernés), le cahier des charges concernant la préparation au CAPA SH publié par le rectorat met en place des " Modalités particulières concernant l'option D permettant de renforcer le potentiel d'enseignants formés ". Il s'agira d'une formation organisée sur un an (400 heures conformément à la circulaire C.2004-026). Mais il est précisé qu'une part importante de la formation (un tiers au minimum) devra être à distance… Que l'année N-1, " l'aide à la prise de fonction sera réduite au minimum opérationnel " Sommes-nous toujours dans le cadre de la circulaire 2004-026 du 10.2.2004 BO Spécial N°4 du 26 février 2004) ?
Mettre cette formation à distance sur l'option D est très surprenante car la mission des enseignants de l'option D est la plus difficile et la plus diversifiée qui soit.
Un enseignant de l'option D doit pouvoir :

  • S'occuper d'enfants, de préadolescents, d'adolescents voire d'adultes;
  • Aider des sujets ayant des pathologies très diversifiées ("névrotiques", "psychotiques", autistes, trisomiques, troubles du comportement et de la conduite handicapant, troubles spécifiques, troubles importants des fonctions cognitives…)
  • Travailler dans des lieux différents : l'école, le collège, le lycée, les établissements spécialisés, un SESSAD… et cela en développant toujours un travail de partenariat avec différents intervenants créant des liens solidaires et indissociables pour une prise en charge cohérente des publics concernés. Je crains que la formation à distance ne préparera que très partiellement à cette diversité, elle ne fera que l'effleurer. En fait, le risque est de faire une formation sur poste et non une véritable professionnalisation ouverte comme attendue dans le référentiel.

       OÙ SONT LES USAGERS ?***
Quelles prises en compte de ces publics en très grandes difficultés psychologiques, sociales, cognitives, psychiques… Sont-ils devenus des enfants "paquets"
(comme pourraient les nommer certains psychologues lorsque le sujet disparaît ?…)

       OÙ SONT LES STAGIAIRES ?
Stagiaires qui face à ces publics ont besoin d'un accompagnement sérieux, de proximité (réassurance et conseils pour avancer), non pas par mail mais dans un face à face laissant une place à l'expression, nous formons des professionnels de la relation (rencontre physique entre des personnes) …

Dans ce dispositif de formation accompagnée d'une formation à distance, comme le dit D. Calin, "on disperse la formation en la distribuant à trois "lieux" différents", et on lamine les filières de formation ASH qui étaient jusqu'à aujourd'hui des pôles forts de formation.
Fini le temps hors du temps qui permettait d'investir un espace autre, celui de la formation, véritable mise à distance d'une pratique sur laquelle un retour réflexif était possible, autorisé, valorisé. Bonjour le temps de " la tête dans le guidon " : quiconque sait le marathon quotidien du travail en CLIS, en UPI, en Hôpital de jour, en ITEP…, qui rétrécit le temps dans le même temps qu'il émiette l'espace, imagine combien il sera difficile de poser sur sa pratique un regard critique, et la distance de la formation à distance n'est certainement pas la meilleure réponse !

Michel Vinais


***Où sont les usagers ?

La question du sujet est le sujet de la question.
(Ce texte est inspiré d'un écrit de Ph. Cormier dont vous trouverez la référence en fin de texte)

Les évolutions incertaines de la formation et ses influences sur les usagers dont les futurs titulaires du CAPA SH option D auront à s'occuper, dans lesquelles je voudrais me limiter ici à désigner les dérives qu'il faut impérativement combattre, si nous ne voulons pas avoir honte de l'Ecole que nous lèguerons à nos enfants.
Le développement des sciences cognitives, des neurosciences, du néo comportementalisme, et en contrepoint le discrédit jeté sur la psychanalyse, entraînent la montée en puissance d'un nouveau scientisme qui tend à s'emparer de la question scolaire en développant un nouveau fantasme digne du Meilleur des mondes d'A. Huxley) : le fantasme de la résolution et réduction des problèmes d'apprentissage et de comportement par des procédés et moyens techniques et même chimiques. Un tel fantasme offre l'immense avantage de faire l'économie du sujet, de la relation, de l'écoute, de la reconnaissance de l'autre avec ses encombrants écarts par rapport aux attentes programmées (la Norme). Ici, il ne faut pas hésiter à affirmer que nous assistons à l'émergence de nouvelles formes d'approches, reposant sur la Science, ne visant que le bien, la sécurité, la bonne adaptation, l'éradication des comportements anomiques dans la population. Le dernier rapport de l'INSERM sur la prévention de la délinquance, l'invention récente du syndrome d'hyperactivité en même temps que de son traitement chimique en est de bons exemples. Car nous avons effectivement affaire à des pathologies inventées pour pouvoir être traitées.
Pendant ce temps-là, la souffrance, le mal-être, la non-reconnaissance, la peur, l'abandon, l'insécurité affective ne sont pas entendus, car il faut pour cela écouter . Ecouter, se mettre à l'écoute, ce que le philosophe J.-L. Chrétien appelle la première des hospitalités, aucun " traitement " ne pourra jamais s'y substituer. Les traitements, physiques ou chimiques, ne pourront jamais que faire taire les symptômes.
Même dans le cas des pathologies, soigne-t-on les symptômes, ou bien les reçoit-on comme les manifestations du trouble, non comme le trouble lui-même ?
Le traitement d'une pathologie avérée, et secondairement des symptômes, est évidemment légitime, mais on sait qu'il requiert d'abord et avant tout l'attention au sujet : à celui qui vit, qui éprouve son mal.
Dans tous les cas, le symptôme est l'expression d'un sujet souffrant. Plus généralement, c'est l'expression d'un sujet en difficulté, qui ne " s'en sort pas " tout seul. Dans tout dispositif et dans toute démarche d'aide, il convient par conséquent de prendre au sérieux en premier lieu la souffrance du sujet en tant que sujet, ses difficultés en tant que sujet, sujet de sa vie, sujet de son rapport au monde, sujet de ses relations à d'autres sujets, et enfin, puisque nous sommes dans le cadre de l'école, sujet de ses apprentissages. Cela peut-il se construire lors d'une formation à distance, qui en elle-même nie la relation à l'autre ? Le travail de relation ne se travaille pas à distance !

Même dans ce dernier cas, la difficulté cognitive (travail du PE S option D) ne demande pas seulement une approche technique (et d'ailleurs, quels sont les bons outils pour intervenir sur une difficulté dont on ne connaît que si peu de chose ?) Elle demande d'abord à être écoutée, car c'est le sujet et lui seul qui peut exprimer sa propre difficulté, avec les moyens qui sont les siens. Alors seulement on peut travailler à partir de ce que le sujet, mis en confiance et à l'abri du jugement, peut dire, montrer, signifier, exprimer, symboliser. De ce point de vue, c'est le regard, plutôt que la prétentieuse observation objectivante, qui peut aider à comprendre, en prenant en compte non seulement l'objet de la difficulté mais le sujet en difficulté, ainsi que la subjectivité du regard, lequel implique de regarder l'autre derechef comme un sujet et non comme un simple porteur de dysfonctionnement. Le regard accepte de ne pas être neutre, d'être vecteur de relation à l'autre. Il se peut que dans certains cas une aide pédagogique puisse être apportée dans la classe, dans le contexte des apprentissages (cela suppose une étroite collaboration entre les différents intervenants). Cela peut-il se construire lors d'une formation à distance, qui en soi, nie la relation à l'autre ?
Engager un sujet, à partir de lui-même (car ses difficultés sont bien les siennes) à restaurer de la confiance en soi, du désir d'apprendre, du sens et de nouveaux outils, une telle idée évacue le caractère imprévisible, non programmable, du chemin singulier du sujet pour " en sortir ". On comprendra que le non-programmable soit administrativement intolérable, mais qui fait souffrir de manière réactionnelle le corps qui la fait souffrir. Autant un projet d'aide a du sens, parce que le projet institue et cadre une visée avec et pour un sujet, en acceptant la dimension d'imprévisibilité, tant du côté du déroulement effectif que de la durée, autant un programme condamne à l'enfermement et à la dictature de l'obligation de résultat (rien de mieux pour provoquer un blocage supplémentaire). L'apprentissage ne peut se plier à la logique productiviste du programme. C'est une évidence dans le cas d'une aide spécialisée.
J'en finirai sur la volonté symptomatique de beaucoup de voir disparaître ou tout au moins de rentabiliser les aides en imposant aux enseignants spécialisés de travailler dans une optique de contrôle des comportements déviants. C'est là que, dans l'institution, le sujet, avec sa singularité, dès lors qu'il se fait remarquer et sort de la norme, plus que jamais gêne. On voudrait (et ce on est légion) que l'enseignant spécialisé agisse, intervienne, mais sans que son " action " passe par le détour, l'écoute et le " rejeu ". Or la mise à distance et la reprise dans un autre cadre sont indispensables pour permettre à l'élève de devenir le sujet d'un vécu difficile. Détour (sortir temporairement du lieu, du topos de la difficulté), écoute et rejeu (rendre représentable ce qui ne l'était pas et empêchait d'avancer) sont exactement caractéristiques de " l'intervention d'aide", aussi peu interventionniste que possible, afin de ne pas " forcer " le sujet. Comment ne pas comprendre que rejouer n'a rien à voir avec jouer au sens de s'amuser ? Cela peut-il s'enseigner lors d'une formation à distance ?
Les aides spécialisées dans leur ensemble demandent par ailleurs à être définies plus clairement en référence au " monde personnel " de l'élève en tant que sujet d'un vécu scolaire et personnel difficiles. Par suite, c'est la nécessité du détour, de l'écoute, de la possibilité de rejouer et de rendre représentable pour lui ce qui s'est mal joué dans son devenir-élève, qui doit être reconnue. Un cadre spécifique est donc indispensable pour garantir la possibilité de la " reprise " des difficultés, et cela vaut tout aussi bien pour reconquérir une disponibilité cognitive qu'une disponibilité émotionnelle ou symbolique. Il est essentiel que l'enseignement spécialisé, entre l'enfant-élève, sa famille, son ou ses enseignants, ses différents intervenants puisse demeurer un tiers capable de restaurer de la relation. Ce travail auprès des usagers (élèves) avec tous les différents intervenants ayant à s'occuper de ces usagers peut-il se construire lors d'une formation à distance, qui en elle-même, nie la relation à l'autre ?

Pour tout complément, courrez lire sur le site de D. Calin les textes de Philippe Cormier : CAPA-SH, formation, commission d'agrément, etc. et La question de l'adaptation de l'École aux élèves à besoins particuliers.

 

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