Victor
Hugo disait : "Ouvrez des écoles, fermez des prisons".
N'est-il pas curieux de constater que, dans le projet 2009, on
supprime des milliers de postes d'enseignants,
tandis que le nombre de postes de gardiens de prisons est l'un
des rares à augmenter fortement ?
Message d'André
OUZOULIAS
Professeur à l'IUFM de Versailles-UCP (Université
de Cergy-Pontoise),
Département PEPSSE (Philosophie, épistémologie,
psychologie, sociologie et sciences de l'éducation)
à Gérard TOUPIOL, président de la FNAME,
"
Un saccage incommensurable "
J'imagine
que vous êtes assommés par les dernières nouvelles
(suppression de près de la moitié des postes d'enseignants
spécialisés en RASED). Luc Ferry avait beau l'avoir
annoncé, nous avions beau redouter depuis quelques jours
que de telles coupes soient inscrites dès le prochain budget,
je reste sans voix face à l'ampleur du fauchage. De plus,
il faut maintenant considérer comme probable que le gouvernement
ne s'arrêtera pas au milieu du gué et qu'il a déjà
décidé de supprimer l'autre moitié des postes
de RASED dans le budget 2010.
C'est
un saccage incommensurable : chaque maître spécialisé
de RASED représente un trésor de compétences,
un appui irremplaçable pour les maîtres et les équipes
d'école. Je pense à Ghislaine, à Martine,
à Françoise, à Magali
des maîtres
E que j'ai côtoyés au cours de ces dernières
années et qui m'ont tant appris et j'enrage ! Je pense
à tous ceux qui, comme elles, ont acquis une authentique
expertise diagnostique et pédagogique sur la grande difficulté
scolaire, après des années d'expérience dans
le travail auprès d'élèves qui ont des difficultés
graves de toutes sortes dans les apprentissages scolaires. Et
j'enrage ! Dans les écoles primaires aujourd'hui, personne
ou presque ne sait vraiment faire ce travail.
Si
on considère que chacun des 7 000 maîtres E et G
de RASED sauve chaque année du désastre, ne serait-ce
que 10 gamins de cycle 2, c'est 70 000 enfants qui, au lieu d'être
soustraits à l'échec scolaire, seront bientôt
pratiquement abandonnés à leur sort. Malgré
toute la bonne volonté des enseignants (et elle est grande
!), ce n'est évidemment pas deux fois 50 minutes de "
soutien " par semaine qui peuvent remplacer une prise en
charge spécialisée E ou G, éventuellement
au sein même de la classe. Comment croire que le gouvernement
souhaite vraiment diviser par 3 le nombre d'élèves
en grande difficulté face à l'écrit, s'il
raye ainsi d'un trait de plume, sans aucun scrupule, un dispositif
dont bénéficient les élèves les plus
en difficulté ?
Et
quelle économie fera-t-on finalement ainsi dans les divers
budgets de l'État, si demain, ces 70 000 élèves
se retrouvent aux limites de l'analphabétisme ? Combien
de postes faudra-t-il créer en SEGPA dans quelques années
? Combien de classes-relais ? Et dans vingt ans, combien de pauvres,
que l'on qualifiera "d' inemployables" et pour lesquels
on débattra pour savoir s'il vaut mieux un RMI, un RSA
ou une quelconque autre allocation-pauvreté ? Et dans trente
ans, combien d'enfants de ces personnes qui, à leur tour
?
Victor Hugo
disait : " Ouvrez des écoles, fermez des prisons ".
N'est-il pas curieux de constater que, dans le projet de budget
2009, on supprime des milliers de postes d'enseignants, tandis
que le nombre de postes de gardiens de prisons est l'un des rares
à augmenter fortement ?
Xavier
Darcos pense peut-être que, du fait que les effectifs moyens
par classe ne monteront pas significativement et qu'il offre 2
h de " soutien " aux " élèves-en-difficulté
", les parents ne s'apercevront de rien et ne diront rien.
Mais pour cette fois, je crois qu'il se trompe. Les parents peuvent
comprendre qu'il y a là une escroquerie. Si on leur explique
qu'en supprimant les psy, les E et les G des RASED, le ministère
prend, dans le domaine de l'éducation, une mesure qui reviendrait,
dans celui de la santé, à supprimer les spécialistes
(ophtalmo, ORL, gastro, etc.) tout en proclamant que les généralistes
sauront répondre aux besoins des patients, ils ne laisseront
pas faire.
Les parents
des élèves en situation de handicap doivent aussi
savoir que la fin des RASED sera une entrave à l'intégration
dans bien des écoles, là où des élèves
sont intégrés dans des classes ordinaires et où
ils bénéficiaient de l'aide d'un maître E
ou G au titre de la difficulté scolaire. Ils ne laisseront
pas faire.
Le
ministère dit : les maîtres spécialisés
" pourront, au sein des écoles et dans le cadre de
la nouvelle organisation de la semaine scolaire, traiter au mieux
et en continu la difficulté scolaire ". Il ajoute
"qu' ils garderont leur indemnité spéciale".
Je crains qu'il veuille rouvrir 3 000 classes d'adaptation à
l'année, où l'on mettra les élèves
les plus en difficulté, encadrés par les maîtres
E sédentarisés. Même chose l'an prochain pour
3 000 autres classes. Pour l'instant, il y a des obstacles juridiques
à une telle réforme. Mais aussitôt que la
loi sur les EPEP sera adoptée (elle sera débattue
en janvier), cela pourrait devenir licite, la classe d'adaptation
d'un EPEP pouvant vraisemblablement accueillir des élèves
qui relèvent actuellement de plusieurs secteurs scolaires.
Un
tel projet n'aurait d'autre avantage que de faire des économies
à court terme. Pour le reste, il serait anachronique et
paradoxal : au moment où l'école fait un effort
considérable pour intégrer les enfants en situations
de handicap, nous serions le seul pays d'Europe à créer
des dispositifs pour externaliser le traitement de la difficulté.
Y aura-t-il quelqu'un, au ministère, pour démentir
cette tentation d'un retour déguisé aux classes
de perfectionnement des années 1970 ?
Un
observateur impartial aurait quand même peine à croire
que le gouvernement a pris cette décision uniquement pour
des raisons budgétaires. N'y a-t-il pas d'autres raisons
? Le ministère a-t-il fait réaliser une évaluation
du travail des RASED ? Les personnels des écoles, spécialisés
ou non, ont besoin de le savoir. Les parents d'élèves
et les citoyens doivent également être éclairés
sur ce point, car il s'agit à la fois de l'avenir de dizaines
de milliers d'enfants et de la gestion des deniers publics.
Quoi
qu'il en soit, on se pose inévitablement beaucoup d'autres
questions : À quoi ressemble ce pilotage de l'institution
scolaire, quand on efface ainsi quarante ans d'histoire de l'adaptation
scolaire sans aucun débat préalable ? Au moins,
le ministre précédent, pour réformer tel
ou tel volet de la politique scolaire, commençait-il par
demander un rapport à des IG ou à un universitaire
ou par réunir des spécialistes lors d'une journée
d'études
Que dire de cette façon de bouleverser
ainsi l'école, de chambouler l'approche de la grande difficulté
scolaire sans consulter ni les personnels, ni l'Inspection Générale,
ni les spécialistes, ni même les instances officielles
comme le Haut Conseil à l'Éducation ? Quelles autres
professions accepteraient d'être ainsi méprisées
? Cette façon d'exiger des personnels qu'ils obéissent
sans comprendre devrait-elle être considérée
comme le modèle éducatif de ce ministère
?
Nous
avons quelques mois pour susciter un mouvement ample et uni parmi
les enseignants et les parents : il s'agit de préserver
l'un des moyens les plus efficaces que nous ayons pour travailler
à la réussite de tous les enfants. La FNAME peut
compter sur mon soutien
et sur mon aide.
02/10/08
|