| Philippe 
            Meirieu : un tour de passe-passe Ancien directeur de l'IUFM de Lyon, co-auteur d'un livre sur l'Ecole 
            avec Xavier Darcos, Philippe Meirieu est un des meilleurs connaisseurs 
            du système éducatif français et de la formation 
            des enseignants. Il livre aux lecteurs du Café Pédagogique 
            son sentiment sur les nouvelles mesures concernant la formation des 
            enseignants.
 Le communiqué du Conseil des ministres qui présente 
            la réforme de la formation des enseignants ne peut que susciter 
            l'admiration. Par une série de tours de passe-passe, il réussit 
            à faire oublier le caractère profondément régressif 
            et dangereux de cette réforme
 Tour de passe-passe idéologique, tour de passe-passe institutionnel, 
            tour de passe-passe politique, tour de passe-passe formatif, tour 
            de passe-passe pédagogique, tour de passe-passe financier et 
            budgétaire, la réforme du gouvernement est habile :
 Tour 
              de passe-passe idéologique, d'abord, car, à aucun 
              moment les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres 
              (IUFM) ne sont cités ! Rayés de la carte, réduits 
              à des structures administratives croupions ou tenus pour 
              quantités négligeables, ils disparaissent même 
              du texte. Inutile de les évoquer, même pour les critiquer, 
              a fortiori pour les réformer ! Ce terrorisme linguistique 
              n'est pas anodin. Il en dit long sur ce qui se joue : la revanche 
              est à l'uvre
 Mourez en paix ( ?) vous qui portez 
              tous les pêchés du monde et ne méritez même 
              pas qu'on prononce votre nom ! Vous incarnez ce que nous haïssons 
              et ne voulons plus voir. Vous étiez un des derniers reliquats 
              d'une entreprise égalitariste détestable : outiller 
              l'ensemble des professeurs, du premier et du second degré, 
              de l'enseignement général, professionnel et spécialisé, 
              pour tenter la démocratisation de la réussite des 
              élèves dans l'École ! Vous nous avez assez 
              culpabilisé comme ça : nous voulons recommencer à 
              enseigner en rond. Tour 
              de passe-passe institutionnel ensuite : on prétend élever 
              le niveau de formation des enseignants quand on encourage, de fait, 
              la mise en place de masters light, bricolés un peu partout 
              dans les universités en fonction des opportunités 
              et de la course à l'étudiant.  Tour 
              de passe-passe politique aussi : on maintient les concours nationaux 
              présentés comme garants de l'unité du système 
              alors que l'on en organise l'éclatement. À qui fera-t-on 
              croire qu'une préparation effectuée dans le cadre 
              d'un master de droit des affaires prépare à l'enseignement 
              du premier degré comme un master de Lettres, de psychologie 
              clinique ou de mathématiques discrètes ? Qui peut 
              imaginer que les universités françaises, qui s'affranchissent 
              allègrement des règles de Bologne en organisant systématiquement 
              une sélection draconienne entre les deux années de 
              master, vont intégrer massivement dans ces derniers les étudiantes 
              et les étudiants qui se destinent à l'enseignement 
              du premier et du second degré, et, a fortiori, les futurs 
              professeurs des lycées professionnels et des lycées 
              agricoles ?  Tour 
              de passe-passe formatif : alors que, partout, en France comme 
              à l'étranger, on plébiscite l'alternance comme 
              outil de formation pertinent, nous renonçons à cette 
              formule. Il y aura quelques stages de découverte ici ou là, 
              mais il n'est pas prévu de processus de professionnalisation 
              à partir d'eux. On juxtapose " théorie " 
              et " pratique " selon un schéma éculé, 
              alors que l'on commence à découvrir partout que la 
              réflexion sur l'action est un instrument infiniment précieux 
              de formation de l'expertise. Tour 
              de passe-passe pédagogique : les épreuves des 
              concours de recrutement seront organisées autour de trois 
              types d'épreuves " destinées à évaluer 
              la culture disciplinaire, la capacité à planifier 
              et organiser un enseignement et la connaissance du système 
              éducatif ". Où est la pédagogie là 
              dedans ? Que fait-on des connaissances indispensables de psychologie 
              de l'enfant et de l'adolescent, des apports de la sociologie qui 
              permettent de comprendre certains aspects des difficultés 
              scolaires des élèves ? Où est l'histoire des 
              doctrines pédagogiques sans laquelle nous sommes condamnés 
              à réinventer perpétuellement l'eau tiède 
              ? Où est la philosophie de l'éducation et la réflexion 
              éthique, le travail en équipe et avec les familles 
              ? Que dirait-on si l'on recrutait des jardiniers avec des cours 
              de botanique, des entraînements à planifier les plantations 
              selon les saisons et la connaissance de l'organigramme du ministère 
              de l'agriculture ? Des jardiniers qui n'aient jamais eu l'occasion 
              de planter quoi que ce soit ni de réfléchir à 
              la manière de s'y prendre ? Que dirait-on si l'on supprimait 
              les écoles de magistrats ou l'internat de médecine 
              ? Tour 
              de passe-passe financier et budgétaire, enfin : on recule 
              l'entrée dans la carrière et l'on économise 
              le salaire de fonctionnaires stagiaires qui devront travailler plus 
              longtemps pour payer leur retraite ! La 
              réforme du gouvernement est habile. Mais trop habile. 
              Elle prétend faire monter le niveau des enseignants quand 
              elle en organise la déqualification systématique. 
              On veut croire qu'à cet excès d'habileté politicienne, 
              les acteurs de l'éducation répondront unanimement 
              et fermement qu'ils exigent une vraie mise à plat, un temps 
              de réflexion constructive. Il est plus facile, en effet, 
              de détruire que de construire. Il est particulièrement 
              dangereux de jeter l'outil sous prétexte qu'il ne marche 
              pas toujours très bien. Et si l'on appliquait, sur une question 
              aussi décisive, qui touche à l'avenir de la Nation, 
              le plus élémentaire principe de précaution 
              ?Ph. Meirieu
 Extrait du Café pédagogique.
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