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          Si 
          nous pouvons trouver les mots pour aider les enfants qui nous sont confiés 
          à moins mal cohabiter avec leur intériorité, si 
          nous sommes capables de travailler 
          en partenariat, capables de construire une co-réflexion pour 
          comprendre et trouver des réponses, si nous pouvions éviter 
          des clivages tel celui entre le monde de la lecture et la lecture du 
          monde alors permettrons nous au "Moi chercheur" de l'enfant 
          dont parle Jacques Lévine d'émerger. Le point principal 
          qu'il aborde dans l'article suivant amène à penser que 
          "tant quon nintroduira pas dans les classes une diversification 
          capable de répondre aux différentes façons dapprendre, 
          de sintéresser au monde et de grandir, on continuera de 
          sinstaller dans un procès, stérile et injuste, aux 
          enfants, aux parents et aux enseignants. On leur reprochera de ne pas 
          collaborer avec lécole alors que cette collaboration dans 
          la conception actuelle de la transmission du savoir est contre nature, 
          tout au moins pour les enfants qui ne sont pas faits pour cette nourriture 
          ou qui en sont encore trop éloignés."
LÉCOLE 
          EST-ELLE EN PROIE A UN PROCESSUS DE DÉPARENTALISATION GÉNÉRALISÉE 
          ? (J. Lévine)
 Pour comprendre lécole daujourdhui, il faut 
          mesurer lécart qui la sépare de celle dhier. 
          Hier, cest avant tout lécole de Jules Ferry. Elle 
          correspond dans notre mémoire collective à un modèle 
          emblématique de groupalité dont nous gardons la nostalgie, 
          mais sans pour autant, affirmons-le nettement, accepter de verser dans 
          le passéisme. Pour être bref, disons que lécole 
          de Jules Ferry a instauré un système dont le principe 
          fondateur, qui sest avéré dune force extrême, 
          est « le devoir dalliance ». Maîtres et élèves 
          y sont unis par ce quon peut appeler « la dette réciproque 
          », la loi de « la double dette » ou « lobligation 
          de la double créance ».
 Cela correspond à deux clauses :
 - Le maître sengage à être 
          un agent exemplaire en matière dinstruction, de socialisation 
          et de promotion sociale, au service de lélève ;
 - En contrepartie, lélève sengage 
          à coopérer, avec une implication totale, à ce programme 
          de développement de sa personne ;
 Donc, pour que lécole vive et survive, il faut que 
          les élèves forment un Moi groupal commun, un front commun 
          de coopération. Et la chance sociologique de lécole 
          de Jules Ferry fut quelle reposait sur quatre piliers : un patriarcat 
          sacralisé, un matriarcat sacralisé, un système 
          scolaire sacralisé, une acceptation de lordre social sur 
          le mode du « cest comme çà ! ».
 A lépoque, ce contexte groupal conditionnait pratiquement 
          tout : la vie familiale, les relations entre ouvriers et patrons, entre 
          simples gens et notables de la cité. Il concernait la façon 
          de faire grandir les enfants, et, cest sous ce patronage que se 
          déroulait la vie sexuelle. Cependant cette école nétait 
          pas idyllique. Y sévissaient la violence entre élèves, 
          la violence institutionnelle légale  le bonnet dâne, 
          les coups de règle sur les doigts, les humiliations  la 
          modélisation des consciences par la moralisation. Mais les hussards 
          noirs de la République savaient faire sortir du rang les enfants 
          dorigine modeste. De plus, il était normal, pour les familles 
          qui sinterrogent sur lavenir de leur enfant, davoir 
          recours aux conseils de linstituteur-secrétaire de mairie, 
          du curé et du directeur décole qui étaient 
          alors des personnages importants. Nous navons pas encore su les 
          remplacer.
 Lun des atouts de cette école était sa conception 
          du savoir. Jai sous les yeux un livre intitulé "Lannée 
          préparatoire de lecture courante, selon les programmes de lannée 
          1887.. " Il sadresse à des enfants de 7 à 9 
          ans (avant, cétaient des copies de lettres et de syllabes
) 
          Les partisans actuels de la lecture à outrance pourraient au 
          surplus constater quil ny avait pas, à cette époque, 
          de clivage entre le monde de la lecture et la lecture du monde. Le livre 
          de lecture était en effet une suite de « leçons 
          de choses » étonnamment vivantes : les raisons qui font 
          que la terre tourne sans quon sen rende compte, les méthodes 
          déclairage dans les cités, le rôle des pistons 
          dans le puisage de leau à la ferme
 Cétait 
          également une suite de « leçons de vie » sur 
          les rapports entre riches et pauvres, infirmes et bien-portants, ce 
          qui se passe quand la forêt est en feu, quand une vache devient 
          furieuse, quand le père, charpentier, tombe du toit quil 
          répare. Cette école savait opérer un subtil mélange 
          de sévérité et de collaboration affectueuse. Je 
          pense à limage du maître qui tient la main de lélève 
          pour laider à former ses lettres.
 Mais ce qui devait arriver arriva. La déliaison sest progressivement 
          emparée de la machine. Tout ce bel édifice de valeurs 
          et dattitudes, a fait lobjet dun travail, dabord 
          dédulcoration, puis deffritement. La seconde guerre 
          mondiale a fini de porter un coup décisif aux valeurs religieuses, 
          au patriarcat, à la sacralisation de lécole et à 
          linterdit du droit de se plaindre. Nous sommes entrés dans 
          lère de « lautorité en panne » 
          et, dans une certaine mesure, de la « déparentalisation 
          généralisée ». Bien entendu, il faut nuancer. 
          En même temps que jamais nous navons eu autant denfants 
          fragilisés, jamais nous navons été entourés 
          dautant denfants précoces, intelligents, débrouillards, 
          dont le vocabulaire à 4 ans est quelquefois celui des enfants 
          de 6 ans dautrefois, et dont les curiosités sociales et 
          sexuelles sont déjà souvent, à 10 ans, celles des 
          préadolescents tels que la littérature classique les décrit.
 Quatre phénomènes, qui procèdent des mêmes 
          causes initiales, se sont additionnées :
 -la déparentalisation des familles 
          par rapport à la société ;
 -la déparentalisation des enfants 
          à lintérieur de la famille ;
 -la déparentalisation des enfants 
          par rapport à lécole ;
 -la déparentalisation des enseignants 
          par rapport à la hiérarchie institutionnelle.
    
        Les 
          nouvelles familles.Les familles dhier sinscrivaient dans des cadres de vie 
          qui avaient valeur de contenants forts et stables : le village, la cité, 
          la famille élargie. Ces contenants fonctionnaient comme des parents 
          pour les parents et, au-dessus de ces parents de parents visibles, il 
          y avait les ultra-parents invisibles, les forces de type totémique, 
          ceux dans lesquels les religions, y compris laïques, proposent 
          de senraciner. Or, tout ce qui formait la super-structure de la 
          société  les anciennes élites, les notables, 
          les traditionnels donneurs de leçons  a connu une perte 
          radicale de crédibilité. Les déstabilisations, 
          les migrations liées à lurbanisation, laccroissement 
          de la population, ont fait que lancien cadre protégé 
          relativement « hors menace » a cédé la place 
          à un espace agité où se conjuguent toutes les tensions 
          actuelles. De nombreux parents doivent désormais sarranger 
          de la privation du Moi-peau que procuraient la transgénérationalité 
          et la transcendance. Même les familles de lestablishment 
          qui sarrangent pour rester des contenants solides ne sont pas 
          épargnées. Les problèmes conjugaux et les déstabilisations 
          professionnelles y font des dégâts qui sapent leurs certitudes. 
          Les familles modestes, qui essaient de transmettre à leurs enfants 
          le sens du devoir et de leffort, vivent dans la crainte de léchec 
          et de la déviance.. Les familles désabusées, à 
          linverse des précédentes, sinstallent dans 
          la perte de confiance par rapport à ce que peut apporter lécole. 
          Le problème majeur est celui des «familles bataille ». 
          Ce sont celles où lon ne cesse de se déchirer. Cest 
          à lintérieur de la famille que lon se bat, 
          au lieu dinvestir lénergie dans des combats constructifs 
          à lextérieur. On y projette sur le conjoint ou les 
          enfants la violence que les défaites de la quotidienneté 
          déposent viscéralement en chacun. La vie commune est faite 
          dune succession sado-masochiste de reproches réciproques 
          suivis de réconciliations éphémères.
 Cependant tout est loin dêtre noir. Nous avons vu apparaître 
          des parents qui savent faire face aux nouveaux problèmes. Ils 
          font en sorte que la place des enfants ne soit ni atrophiée, 
          ni hypertrophiée par rapport à celle des parents. Ils 
          veillent à ce que la vie de lenfant ne soit pas envahie, 
          intrusée, par les problèmes de couple. Ils savent que 
          lun des modèles principaux dont lenfant va nourrir 
          son expérience de la vie, cest celui quils lui donnent 
          à voir quotidiennement. On peut même parler dune 
          nouvelle espèce de parents. Ils pratiquent dinstinct ce 
          que le psychanalyste anglais Bion appelle la « fonction alpha 
          », cest-à-dire cette sensibilité relationnelle 
          particulière qui donne lintuition de ce qui est favorable 
          ou défavorable à lautre. Il se crée ainsi 
          des familles « suffisamment bonnes » où chacun trouve 
          sa place et participe à un projet commun, où les fenêtres 
          sont ouvertes sur ce qui se passe dans le monde. Elles transmettent 
          à leurs enfants des outils pour affronter ladversité, 
          pour leur donner lenvie daméliorer la société, 
          sans quils cessent pour autant de penser à construire leur 
          avenir personnel. Elles élèvent leurs enfants dans lidée 
          quils sont à la fois enfants et parents deux-mêmes, 
          enfants et parents de la société, enfants et parents de 
          lespèce humaine.
 Mais la question se pose : ce dernier type de famille est-il un rescapé 
          isolé de lancienne organisation des familles ou un précurseur
?
 En résumé, éduquer les familles à léducation 
          devient de plus en plus une priorité. Mais comment concevoir 
          cette éducation des parents et a-t-elle un sens si, en même 
          temps on néduque pas lécole à lénorme 
          problème quest lhétérogénéité. 
          Je vais maintenant longuement laborder après avoir toutefois 
          mieux précisé un aspect fondamental de lévolution 
          en cours : le vécu de désappartenance.
 Les 
          nouveaux jeunes.Les jeunes senfoncent dans la brèche qua ouvert le 
          spectacle dadultes marqués par le fiasco des guerres successives, 
          par leur incapacité dempêcher le totalitarisme et 
          de préparer lavenir.. La non fiabilité des adultes 
          est lune des origines de leur sentiment de déparentalisation 
          et de désappartenance.
 Pour définir ce que jentends par désappartenance 
          des jeunes, je propose de recourir à trois notions qui se complètent 
          :
 - la déparentalisation ambivalente : 
          elle désigne un processus de décrochage dans le maintien 
          de laccrochage. Se déparentaliser dans lambivalence, 
               cest se disjoindre tout en se sentant 
          unis. Cest pour ces jeunes se désolidariser, de façon 
          discrète ou bruyante selon les cas, de valeurs auxquelles ils 
          se      sentent affiliés, mais sans 
          y renoncer définitivement..
 - Lauto-parentalisation est une étape 
          ultérieure. Elle signifie que sétant déparentalisés, 
          les jeunes envisagent de sinstaurer parents deux-mêmes, 
          de se     donner un statut dauto-procréateurs, 
          tout en restant dans le cadre familial. Il sagit donc dun 
          imaginaire plus que dun passage à lacte.
 - Lauto-suffisance générationnelle 
          hors du monde adulte : cette étape correspond à une détermination 
          dune petite partie des jeunes de nêtre redevable     à 
          personne. Lobjectif est alors, pour ces jeunes, de sinstaller 
          dans une vie juxtaposée à celle des adultes, sans avoir 
          à leur rendre des comptes, en formant     un 
          peuple quasi autarcique.
 Quelle 
          est, dès lors, la différence entre lenfant de toujours 
          et celui daujourdhui ? Cest quil ne sagit 
          plus dune émancipation seulement subjective. Autrefois 
          on observait avec indulgence, amusement ou agacement, les pouvoirs abusifs 
          que lenfant voulait soctroyer. Nous étions ravis 
          de trouver dans un film comme « la guerre des boutons » 
          ou dans un roman comme « Emile et les détectives » 
          lenfant que nous aurions voulu être. Aujourdhui, nous 
          nous inquiétons, et à juste titre, de lascendant 
          que les enfants sont en train de prendre sur les adultes.Nous avons à réaliser que deux processus sont en train 
          de se conjuguer : les enfants refusent de se sentir moins forts que 
          les adultes, dans le même temps où les adultes cessent 
          de se sentir plus forts que les enfants. Si bien que les enfants 
          sentent presque demblée que les adultes ont beaucoup moins 
          la possibilité de leur résister et quils peuvent 
          ainsi donner libre cours au désir de toute-puissance et à 
          la pulsion de défi qui est naturellement en eux. Les conflits 
          et les procès des parents aux enfants, et des enfants aux parents, 
          deviennent dans beaucoup de familles, une constante de la relation quotidienne.
 Cela nous incite à explorer une autre dimension à la source 
          du vécu de désappartenance. Cest le fait, et très 
          particulièrement dans la société française, 
          que les enfants nont jamais été livrés 
          aussi tôt à eux-mêmes. Les séparations 
          actuelles se déroulent sur le mode du « chaud et froid 
          éducatif ». Jamais le corps du bébé na 
          été aussi érotisé et jamais il na 
          été séparé aussi rapidement de ses accompagnants 
          les plus précieux. Lérotisation vient de lintensité 
          que prend chez les parents daujourdhui lidée 
          de grossesse , de maternité, de paternité. Le bébé 
          est vécu comme un complétant quasi miraculeux du corps 
          des parents. Il représente pour eux le moyen idéal de 
          lutter contre une menace de vide identitaire. A peu de choses près, 
          on lui applique, en matière de caresses, de bisous, de sensualité, 
          le même traitement quau partenaire sexuel. Son Moi fait 
          lobjet de compliments qui le portent au pinacle. Il représente 
          toutes les générations : « ma puce, mon bébé, 
          ma petite mère, mon petit père »
On lencourage 
          donc à se considérer comme tout-puissant. Il a le statut 
          de lenfant-roi qui fait loi.
 Qui pourrait donner tort aux parents, tout au moins lorsquils 
          ne vont pas trop loin dans ce culte ? Lenfant a, en effet, un 
          besoin absolu de se sentir vitalisé, énergétisé, 
          lobjet dune forte attribution de Moi si lon veut quil 
          forme un capital de confiance en lui, indispensable pour affronter les 
          moments dadversité qui ne font pas défaut.
 Ceci étant, très rapidement après cette inflation 
          narcissique, lenfant est confié à dautres 
          personnes et aux institutions  crèche, maternelle à 
          2 ans ½. Quen résulte-t-il ? Des vécus de 
          cassure. Pour certains, cest sans dommage, ils saguerrissent, 
          forment une résilience vraie. Pour dautres, cest 
          à lorigine dun «trou » de la parentalité. 
          Le sentiment daccompagnement interne est affecté. Cest 
          le cas lorsque lenfant, encore dans loralité et lanalité, 
          est mis, sans transition suffisante, au contact dexigences groupales 
          qui le dépassent. Privé de contacts suffisants avec les 
          personnes, il a tendance à former couple avec son propre corps 
          ou avec des objets. Cest le cas des « enfants bolides », 
          dits également « tout-corps » ou « tout objet 
          », ou « sans autrui ». Linstance paternelle 
          ne sinstalle pas dans lhorizon mental de lenfant lorsquil 
          est encore trop envahi par le besoin du « former couple » 
          avec le monde maternel et lorsque la mère transforme lenfant 
          en petit mari pour lutter contre sa propre peur de la vie.
 Plus tard, ces enfants prennent lhabitude de nen faire quà 
          leur tête. Ils inversent le rapport de force. Ils sinstaurent 
          juges des parents et des adultes, ils veulent leur imposer leur domination. 
          Les choses se passent comme sils considéraient que ce sont 
          les adultes qui sont en dette envers eux.
 Simultanément, du fait de lattention hypertrophiée 
          que lenfant porte à son Moi, il devient dune sensibilité 
          extrême à tout ce qui peut être blessure de déconsidération. 
          Jamais les défaites du Moi nont pris une telle place dans 
          la recherche didentité. La fidélité aux défaites 
          de la vie, surtout des premiers âges (problèmes de non-dits 
          sur lorigine, blocage de la pensée sur des moments dramatiques, 
          sentiment de rejet de la part des parents, participation aux batailles 
          internes de la famille ou aux batailles externes de la famille avec 
          la société, jalousies, impuissance à guérir 
          les parents
) devient constitutive de ce quon peut appeler 
          lidentité négative. Autrement dit, ce qui a obstrué 
          la croissance dans le passé, devient, plus que le futur, une 
          composante essentielle de la valeur du Moi. La fidélité 
          à cette identité négative, donc le « refus 
          doublier » les torts dont on pense avoir été 
          victime, deviennent des composantes essentielles du psychisme contemporain.
 Naturellement, encore une fois, il nest pas question de donner 
          une tonalité apocalyptique à cette évolution. Mais 
          le vécu de décrochage sobserve chez tous. Même 
          dans les familles qui nont rien de la famille où lon 
          sentre-déchire, on voit que les jeunes inventent très 
          tôt une façon dêtre « intermédiaire 
          » qui nest ni le rejet de la loi, ni ladhésion 
          totale à la loi, mais une sorte dobservation formelle de 
          la loi, le devoir, mais pas plus que le devoir.
 Ce comportement de non pactisation ou dadhésion a minima 
          sexplique également par le fait que ces jeunes ne savent 
          pas encore sur quel sol leurs pieds vont se poser. On peut penser que 
          cette prise de distance fait même partie de leur préparation 
          à affronter un avenir incertain. Cette attitude dexpectative 
          a probablement quelque chose de positif. Dans cette hypothèse, 
          nos jeunes seraient en train de modifier préventivement leur 
          organisation psychique en fonction des nouvelles conditions quils 
          vont avoir à affronter, ce qui est le cas dans les espèces 
          animales, en mutation biologique dans les périodes de crise. 
          Il y a même tout lieu de penser quune partie de ces jeunes 
          se prépare dans lombre à assurer un nouveau type 
          de parentalisation. Cela, cest le côté rassurant 
          qui contrebalance les aspects inquiétants.
  Les 
          nouveaux élèves.Je divise en deux parties mon exposé sur ce point :
 I 
          - Avant de dire ce que jentends par « nouveaux élèves 
          », je ferai état de travaux que je mène maintenant 
          depuis plus de quarante ans et qui portent essentiellement sur lévaluation 
          des capacités des enfants, en matière de langage écrit. 
          Je les évoque, parce que léclairage quils 
          apportent est toujours dactualité. On trouvera les conclusions 
          de cette enquête régulièrement répétée 
          dans les articles ou ouvrages suivants :1959 Problèmes de psychologie scolaire dans les classes 
          normales. « Psychologie Française » de la même 
          année.
 1968  (avec Michel Dapsance) Lexamen psychologique dans 
          le cadre du Cours Préparatoire. « Revue de Pédiatrie 
          » tome IV (repris par Colette Chiland dans « Lenfant 
          de six ans »).
 1981  « Les difficultés scolaires », Doin éditeur 
          (Cet ouvrage reprend lintervention faite, avec Guy Vermeil, au 
          26ème Congrès de Pédiatrie de Langue Française).
 1990  « Faut-il détruire le C.P. ? » Actes 
          du Colloque dEtiolles « Réussir sa petite enfance 
          »
 1995  « Plaidoyer pour les 40 % du milieu de la classe, 
          Entretiens Nathan.
 1997  (avec Marie-Jo Rancon) « La loi des quatre affiliations 
          » repris dans « Je est un Autre » Jacques Lévine 
          et Jeanne Moll, 2001.
 2001  « La bientraitance sera plurielle ou ne sera pas », 
          Actes du Colloque « Naître et Grandir Autrement ».
 Lobjectif de ces enquêtes successives était donc 
          de nous éclairer sur la diversité des élèves 
          dune même classe, essentiellement pour ce qui concerne les 
          différences dattitudes face au langage écrit. Nous 
          avons obtenu ainsi des tableaux qui nous indiquent la composition réelle 
          des classes dans le cadre dune réflexion sur lhétérogénéité 
          des enfants. Il est apparu très clairement que toute classe est 
          à composition tripolaire. Tout en se gardant de schématiser 
          et de verser dans la fatalité du déterminisme, il nous 
          est apparu que lun des problèmes essentiels de lécole 
          était et continue dêtre notre capacité à 
          gérer conjointement trois grandes catégories délèves 
          :
 - les co-dirigeants et les indépendants 
          actifs, qui forment en gros le groupe dit des bons élèves 
          ;
 - les « pourraient mieux faire » 
          dont certains sont très mobilisables alors que dautres 
          sinstallent dans le suivisme ;
 - les opposants et marginalisés.
 Or ces enquêtes font apparaître des réalités 
          qui, jusquà présent, faisaient lobjet dun 
          non-dit et même dun grand silence. Ce qui était et 
          reste caché est:
 *quil faut avoir 7 ans dâge 
          mental et non seulement 6 ans dâge civil, pour apprendre 
          à lire de façon non artificielle, donc avec lespoir 
          dun rapport ultérieur aux textes qui ne conduise ni à 
          léchec, ni à des résultats trop médiocres 
          au collège ;
 *que la réussite est liée à 
          ce que jai appelé « limaginaire du cognitif 
          » (dialogue implicite avec lauteur du texte sur ses désirs, 
          sur ce quil veut que nous comprenions), capacité elle-même 
          liée à limage que lenfant se fait de sa place 
          à lécole et dans la société, donc 
          de son droit dexister ;
 *que la non-prise en compte de ces paramètres 
          fausse les évaluations qui laissent croire, en fin de CP, que 
          presque tous les enfants lisent suffisamment bien;
 *que nous sommes dans le règne de la 
          mono-nutrition. Même lorsque les classes sont ouvertes sur lextérieur, 
          cest lévaluation de la maîtrise du langage 
          écrit abstrait qui fonctionne comme seul couperet de sélection. 
          En fonction de quoi, depuis quarante ans, je proclame que nous laissons 
          en sous-développement toute une série denfants dont 
          les capacités sont de lordre de la réalisation, 
          de la relation, des curiosités et talents personnels. Or nous 
          sommes à une époque où il est nécessaire 
          que tous les enfants soient intelligents, étant donné 
          quil y a de moins en moins de métiers inintelligents ;
 Au total, nous sommes pris dans lengrenage dune école 
          et dune France à trois vitesses, avec tous les dangers 
          qui peuvent en résulter.
 II 
           Si jévoque la notion de « nouveaux élèves 
          », ce nest pas parce que les derniers sondages que jai 
          effectués, contestent la notion de classe tripolaire, cest 
          parce que lapparition dautres paramètres mobligent 
          à modifier notre perception de lévolution en cours. 
          En effet, nous assistons à un accroissement de trois sortes de 
          problèmes :- Le nombre des élèves en 
          souffrance, au niveau de leur image et de leur identité, est 
          en augmentation inquiétante.
 - Les attitudes qui révèlent 
          un sentiment de désaffection et de désappartenance par 
          rapport au savoir scolaire tel quil est enseigné, sont 
          également en        augmentation 
          inquiétante.
 - En contre-partie, et cest un élément 
          très encourageant, la soif dautre chose que de savoirs 
          fossilisés commence à sexprimer de façon 
          de plus en plus        ouverte et 
          correspond à une attente réelle.
 Les 
          élèves en souffranceIl y a un nombre croissant denfants qui, dès la Maternelle, 
          amènent à lécole non seulement leur corps 
          souffrant de la maison, mais également quelque chose du corps 
          souffrant de leurs parents. Et, envahis par leur malaise, ils cherchent, 
          de façon compulsive, à lexprimer et à imposer 
          à la classe les systèmes de relation réactionnels, 
          offensifs ou défensifs, qui font partie de leur identité 
          familiale. Lorsquon examine de plus près ces comportements 
          qui sont source de très grandes perturbations dans les classes, 
          on voit quils sont souvent liés à des vécus 
          de non présentabilité de la famille et de soi-même. 
          Ce sont des façons de masquer des aspects jugés par lenfant 
          honteux à soigneusement soustraire au regard des autres. Trop 
          denfants cachent actuellement par le mutisme et linhibition, 
          ou larrogance et lagitation, quils ne se sentent pas 
          comme les autres, que leur vie sest déroulée autrement, 
          quelle comporte des dimensions «accidentées ».
 Peu denseignants savent sapprocher avec le doigté 
          voulu de ces enfants  effectivement ce nest pas exactement 
          leur métier. Ils les adressent aux réseaux daide 
          ou au CMPP, mais, comme ils les ont en charge des journées entières, 
          ils se sentent néanmoins obligés dintervenir. Certains, 
          surtout à la Maternelle, ne se bornent pas à leur rappeler 
          les règlements de la vie scolaire. Ils essaient de réinstaller 
          des frontières sécurisantes, en leur faisant dessiner, 
          cest un exemple parmi dautres, le trajet maison-école 
          pour leur montrer la différence des espaces et des appartenances. 
          Dautres sentent quils nont pas à se substituer 
          au psychanalyste mais quils peuvent quand même trouver les 
          mots pour aider ces enfants à moins mal cohabiter avec leur intériorité, 
          donc à retrouver confiance et à entrer en classe sans 
          avoir à se sentir moins que les autres. Lune des conditions 
          est que lenseignant soit lui-même aidé notamment 
          par la participation à un groupe Balint à se familiariser 
          avec de tels problèmes relationnels. Tous sentent la nécessité 
          du dialogue avec les parents sans les culpabiliser., sur le mode dune 
          co-réflexion où lon cherche ensemble à comprendre 
          et à trouver des réponses, en comprenant ce que signifie 
          un enfant en difficulté pour des parents qui attendent beaucoup 
          et quelquefois limpossible pour leur progéniture et pour 
          eux-mêmes.
 Encore une fois, ce chapitre de la relation avec les parents pour lequelle 
          nous sommes encore très mal préparés, qui se présente 
          comme une chose facile, allant de soi, est à lordre du 
          jour de façon prioritaire.
 Le 
          sous-investissement des savoirs scolairesOn attribue la responsabilité de ce sous-investissement, 
          tantôt aux enfants, tantôt aux parents, tantôt aux 
          enseignants, tantôt aux méthodes (la méthode globale 
          étant le bouc émissaire le plus fréquemment désigné). 
          Or le problème essentiel est ailleurs. Cest celui de 
          la responsabilité de linstitution à propos de la 
          place hypertrophiée quelle accorde à labstraction, 
          car les élèves pour qui laccès à labstraction 
          nécessite un détour préalable ou concomitant par 
          la pensée concrète, pragmatique et inductive, ne reconnaissent 
          pas le monde tel quil est dans la présentation des savoirs 
          dans les manuels ou même dans le langage de lenseignant. 
          Certes il est normal quon demande à tous les enfants, à 
          un moment donné, de sortir deux-mêmes pour sidentifier 
          à ceux qui sont familiers avec le monde des mots apparemment 
          coupé du monde des choses. Nous ne pouvons, en effet, nous passer 
          dun fonctionnement mental auquel labstraction fait gagner 
          un temps considérable. Encore faut-il que des transitions permettent 
          à ces élèves de ne pas se sentir coupés 
          deux-mêmes, obligés dentrer de force dans une 
          peau qui nest pas la leur, donc dans une école qui est 
          celle des autres. Ils ont tendance à répondre à 
          une demande de sur-investissement cognitif par un sous-investissement. 
          Dautant plus quen général leurs perspectives 
          davenir sont très aléatoires et peu motivantes.
 Il ne faut pas oublier que, récemment encore, apprendre avait 
          un sens très concret qui sest perdu : acquérir des 
          outils pour lutter contre ladversité et rendre la vie plus 
          vivable. Doù une pédagogie naturelle par le contact 
          physique dans les villages et les cités avec des ouvriers, des 
          artisans, des commerçants. La proximité avec les métiers 
          a longtemps tenu lieu décole au sens fort du mot.
 Dans le même ordre didées, on peut observer que trop 
          peu denseignants savent restituer les élans émotionnels, 
          les étonnements, les démarches conquérantes ou 
          dépressives qui ont fait vibrer les découvreurs. On ne 
          tient pas assez les enfants au courant des toutes dernières découvertes 
          qui se font dans le monde en matière de médecine, d'aviation, 
          d'architecture... Certes, on ne considère plus les enfants comme 
          seulement des machines à apprendre. Nous n'ignorons pas lexistence 
          des itinéraires de découvertes, tout ce que peuvent apporter 
          les méthodes dites actives, les travaux personnels encadrés, 
          les stages en alternance. Mais la terreur qui pèse sur les enseignants 
          de maintenir les élèves dans leur univers enfantin et 
          de transmettre des savoirs au rabais, les empêche de faire du 
          Vigotski, cest-à-dire de rechercher la zone proximale de 
          développement, ni trop en-deça, ni trop au-delà, 
          des capacités dassimilation de ces enfants. Probablement 
          le grand coupable est-il la primauté donnée à la 
          place de la technicité et au formalisme dans les apprentissages. 
          On ne distingue pas de façon suffisamment claire deux sortes 
          de savoirs scolaires :
 -les savoirs proprement dits sur les choses 
          de la vie et sur les réalités culturelles (histoire, géographie, 
          sciences, etc
) ;
 -les savoirs sur le fonctionnement des outils 
          langagiers écrits qui donnent accès aux savoirs particuliers 
          précédents (grammaire, orthographe, bases du       calcul
)
 Toute la viciation du système provient du fait que seuls sont 
          pris en compte aux examens les savoirs du deuxième type ; ils 
          font la différence, ils fonctionnent comme des couperets et cest 
          sur eux que se joue lavenir de chacun.
 Encore une fois, nous nignorons pas que nombreuses sont les classes 
          où les connaissances ne sont pas que livresques, où lon 
          procède à des enquêtes collectives et où 
          lon manie intelligemment les outils audio-visuels. Mais il faut 
          bien prendre conscience que tout le fonctionnement du système 
          scolaire passe par les matières dexamen.
 Redynamiser lécole nécessite un rapport fort à 
          des lieux où les savoirs se construisent, laboratoires, studios 
          de cinéma, entreprises. Actuellement, il y a rupture entre les 
          savoirs et les savoir-faire. Il ne faut donc pas sétonner 
          que le savoir apparaisse comme de plus en plus éthéré, 
          comme des choses qui ne sont que dans les livres, qui permettent de 
          passer, ou non, dans la classe suivante et non comme la réponse 
          que des hommes ont apportée aux questions quotidiennes. Encore 
          faut-il également rompre avec une conception médiévale, 
          aristocratique de la culture qui dévalorise lintelligence 
          constructive et réalisationnelle. Un enseignant de classe de 
          technologie écrit : « On croit que lhomme qui 
          porte un bleu de travail ne pense pas et que celui qui porte une blouse 
          blanche réfléchit
 Beaucoup de jeunes découvrent 
          lutilité du théorème de Pythagore, à 
          genoux, en montant brique à brique des murs à angle droit, 
          alors que dautres auront dabord besoin de théoriser 
          avant de découvrir les applications pratiques de ce théorème
Le 
          contact sensoriel avec les éléments, le toucher de la 
          matière est une des composantes de « lintelligence 
          concrète. » Et ce qui donne lenvie dapprendre, 
          cest la fierté davoir fabriqué un objet devant 
          lequel on dira : « Mais qui a fait çà ? »
 La 
          soif de savoirs non fossilisésLexpérience des Ateliers de Philosophie menée maintenant 
          depuis 1996, puis, plus récemment celle des Ateliers de Psychologie 
          et dInterrogation Collective, nous a fait découvrir quil 
          existe un champ encore trop peu exploré du savoir : cest 
          le « ça parle du Moi chercheur » qui correspond au 
          regard neuf et interrogateur que lenfant adopte naturellement 
          lorsquil cherche à comprendre ce qui se passe en lui et 
          dans le monde, lorsquil se donne un statut de penseur quasi à 
          égalité avec les adultes, lorsquil sinscrit 
          dans le club de ceux qui sautorisent à réfléchir 
          sur les problèmes fondamentaux de la vie.
 Ce domaine est considéré comme un savoir inférieur, 
          roturier, qui ne peut prétendre quà une place mineure 
          par rapport au « ça parle » scolaire, considéré 
          comme la seule voie royale daccès à la culture. 
          Or le ça parle scolaire, coupé du ça parle du Moi 
          chercheur (et  ceci est encore une autre affaire  coupé 
          du ça parle du « je est un autre », celui où 
          sont déposés les bonheurs et blessures de lhistoire 
          secrète des liens de filiation) est comme un arbre, à 
          la fois privé dune partie de sa sève et de louverture 
          vers le haut que lui donne son feuillage. Cest un tronc qui ne 
          se suffit pas à lui-même. La réciproque est dailleurs 
          vraie : les trois « ça parle » forment une unité 
          et il nest pas question de les mettre en opposition.
 Lintérêt des Ateliers que je viens dévoquer 
          est de faire découvrir à lélève, quel 
          que soit son âge, quil peut avoir un autre rapport au savoir 
          que celui que lécole traditionnelle lui impose. La question 
          principale que nous nous sommes posée est de comprendre pourquoi 
          des enfants qui ninvestissent pas les savoirs traditionnels éprouvent 
          une intense satisfaction de participer à ces Ateliers. La même 
          question vaut pour les enseignants qui sétonnent de lintérêt 
          des réponses et de limplication des enfants.. Certains 
          de ces enfants, par exemple, après avoir participé à 
          26 séances en 2001-2002 alors quils étaient en CP, 
          ont poursuivi lexpérience en 2002-2003 avec une nouvelle 
          série de 25 séances.
 Lanalyse des séances fait apparaître au moins 
          cinq raisons à cet intérêt.
 -Lenfant y fait une expérience particulière 
          de lui-même en tant que lieu du cogito. Il découvre, plus 
          nettement que dans dautres activités, quil est porteur 
          dune dimension fondamentale de lêtre : la pensée 
          dont on est soi-même la source.
 -Son statut social, inégalitaire par rapport 
          aux adultes sen trouve considérablement modifié. 
          Confronté aux problèmes les plus fondamentaux qui préoccupent 
          les hommes, il est implicitement invité à faire partie 
          du club de ceux qui cherchent à rendre la terre plus habitable.
 -La pratique qui consiste, dans un cadre collectif, 
          à sentendre émettre des hypothèses sur des 
          problèmes majeurs sans être jugé, correspond à 
          un nouveau vécu de la vie groupale scolaire. Cest lexpérience 
          du groupe cogitant
 -Lenfant découvre que sa parole se double 
          dun travail invisible de la pensée, le langage oral interne, 
          dont la conscientisation est un important facteur denrichissement 
          de limage de soi et de lexpérience de la pensée.
 -Chacun, implicitement, est confronté au défi 
          de mettre de lordre dans ses pensées sur le monde. Cette 
          sollicitation lui fait découvrir la complexité et le plaisir 
          de la pensée en recherche de conceptualisation.
   Les 
          Ateliers de Psychologie sont centrés sur le problème de 
          lidentification à lautre. Une seule et unique question 
          y est posée : « Quest-ce quon ressent quand 
          on est
 un enfant qui cherche toujours à être le plus 
          fort ?, quelquun qui sennuie ?, une mère qui attend 
          un enfant ? , une personne âgée ?
  Les 
          Ateliers dInterrogation Collective font une part plus importante 
          au débat. Les jeunes (il sagit surtout du cycle 3 et du 
          collège) sont invités à examiner les points daccord 
          et de désaccord à propos de deux sortes de questions : 
          « Pensez-vous que
 ? » et « Comment expliquer 
          que
 ? Par exemple : « Pensez-vous que les adultes de notre 
          époque sont heureux ? »
 « Comment expliquer 
          quon puisse à la fois aimer et détester ses parents 
          ? »
En résumé, et cest le point principal que je veux 
          aborder, tant quon nintroduira pas dans les classes une 
          diversification capable de répondre aux différentes façons 
          dapprendre, de sintéresser au monde et de grandir, 
          on continuera de sinstaller dans un procès, stérile 
          et injuste, aux enfants, aux parents et aux enseignants. On leur reprochera 
          de ne pas collaborer avec lécole alors que cette collaboration 
          dans la conception actuelle de la transmission du savoir est contre 
          nature, tout au moins pour les enfants qui ne sont pas faits pour cette 
          nourriture ou qui en sont encore trop éloignés. Pour linstant 
          les réponses qui ont été proposées, par 
          exemple celle des cycles, ne permettent pas déviter les 
          gâchis que nous constatons et qui sont, avant tout, imputables 
          à la rigidité de linstitution même lorsque 
          les discours laissent penser quelle a le souci de sadapter.
 Les 
          nouveaux enseignantsCest à cet engrenage infernal dune 
          école qui sacharne encore trop à privilégier 
          labstraction ou qui se tourne trop tardivement vers le concret, 
          que jattribue, comme on la vu, une grande partie du malaise 
          enseignant. Il est clair que nos enseignants sont dans une période 
          de défaite. Ils vivent une cassure de leurs liens les plus traditionnels, 
          ceux auxquels ils tenaient le plus. On peut énumérer trois 
          ruptures :
 -La rupture du dialogue avec la transcendance 
          institutionnelle.
 -La rupture du dialogue avec une partie des élèves.
 -La rupture avec les objectifs traditionnels de la 
          fonction enseignante.
 Le 
          nouveau rapport des enseignants à la transcendance institutionnelleOn peut considérer linstitution scolaire comme un bâtiment 
          à quatre étages : létage de la transcendance, 
          létage de ladministration, létage des 
          enseignants, létage des usagers, élèves et 
          parents.
 Jusquà il y a peu, les enseignants se sentaient dépositaires 
          dune mission de la plus grande importance : être les « 
          ensemenceurs des jeunes générations » en matière 
          de socialisation et de savoir. Ce mandat leur venait de létage 
          de la transcendance via létage des administrateurs. Ils 
          se sentaient affiliés à des parents mythiques siégeant 
          quelque part au-dessus des toits de lécole, sorte de grands 
          ancêtres totémiques censés savoir ce qui est bon 
          pour lécole, pour le développement des enfants et 
          la pérennité de la société. De même, 
          les enseignants ne mettaient pas en cause la légitimité 
          des administrateurs. Ils se sentaient donc inscrits en bonne place dans 
          cette organisation supra-parentale. Ils se présentaient devant 
          leurs élèves et les parents, adoubés par les maîtres 
          des maîtres.
 Or, comme nous lavons vu, cette considération est 
          maintenant largement fissurée. Ne se sentant plus soutenus par 
          les forces totémiques, les enseignants éprouvent un sentiment 
          disolement et de vulnérabilité. Dautant plus 
          quil ny a aucune analyse sérieuse de lévolution 
          qui sest produite, et encore moins des responsabilités. 
          Ladministration, pour ne pas être attaquée, se défend 
          en affirmant encore plus son pouvoir. Le discours officiel est caractérisé 
          par une excessive auto-satisfaction. Ladministration se réfugie 
          dans lanonymat dans une position qui la met à labri 
          des critiques et lui laisse, même en régime démocratique, 
          un champ de prise de décision qui se situe souvent à la 
          limite de larbitraire. Comme les élèves les plus 
          mégalomanes, elle naccepte pas davoir tort et de 
          rendre des comptes.
 Certes les enseignants ont un pouvoir de protestation considérable, 
          mais au fond deux-mêmes ils ne parviennent pas à 
          se dégager dhabitudes dinfantilisation et de respect 
          pour les deux étages qui sont au-dessus deux.
 La 
          rupture du dialogue avec une partie des élèves.Le même comportement de non adhésion, de non implication, 
          voire de refus de pactisation que lon observe chez les jeunes 
          dans les familles, est dautant plus transporté à 
          lécole que celle-ci est vécue comme injuste, comme 
          agressant leur narcissisme. Les conflits naturels avec linstance 
          paternelle deviennent des conflits avec lautorité scolaire 
          qui prennent plus dimportance que les apprentissages. Certains 
          enfants font de leur capacité à défier les adultes 
          de lécole une preuve fondamentale de leur valeur, surtout 
          lorsque ces provocations suscitent ladmiration des camarades.
 Lenseignant est profondément touché par le climat 
          agressif que les élèves, surtout ceux qui se sentent eux-mêmes 
          agressés par ailleurs, savent si bien développer dans 
          la classe. Il est dautant plus touché quil refuse 
          de renoncer, et cest heureux, à son idéal du Moi 
          professionnel. Pour les uns, la motivation à être enseignant 
          est de contribuer à la construction de lautre, cest-à-dire 
          du même coup, à la sienne propre. Pour dautres, la 
          motivation est une recherche de pouvoir pour être rassuré 
          sur sa propre valeur phallique. Pour la plupart, les deux motivations 
          sintriquent. Ce qui est remarquable dans la conjoncture actuelle, 
          cest de voir que, malgré toutes les difficultés, 
          indiscipline, violence, démotivation scolaire, les enseignants 
          continuent dêtre portés par les deux motivations 
          précédentes. Ils refusent une attitude démissionnaire. 
          Ils saccrochent, contre vents et marées, à la vision 
          idéale quils ont de leur mission.
 La 
          rupture avec les objectifs traditionnels de la fonction enseignante.Lobjectif principal que de tout temps les maîtres 
          se sont donné est de faire réussir tous les élèves. 
          Chez certains, cest seulement un objectif déclaré 
          ; pour dautres, cest quelque chose qui engage toute leur 
          personnalité. Or, sur ce point, la crise a fait éclater 
          des divergences qui, jusqualors étaient latentes. Schématiquement, 
          les enseignants se divisent en quatre groupes :
 La position ultra-conservatrice : le 
          raisonnement est des plus simpliste. Puisquil y a toujours eu 
          une répartition des élèves en bons, moyens , mauvais, 
          il est normal que cela continue. Autant ladmettre et considérer 
          que, finalement, les résultats de lécole actuelle 
          ne sont pas si mauvais que cela.
 La position anti laxiste : elle part 
          du principe que la fermeté et lautorité peuvent 
          venir à bout de lhétérogénéité. 
          Cest une question de détermination et de ténacité. 
          Dailleurs certains maîtres savèrent capables 
          denseigner la lecture à la quasi totalité de leur 
          élèves. Déminents personnages proclament 
          quavec 2 h30 de lecture par jour on vaincra lillettrisme 
          ! Alors que de nombreuses expériences montrent que la lecture 
          au forceps génère soit des résultats illusoires, 
          soit des aggravations ultérieures. On ne gagne rien à 
          faire léconomie de lintelligibilité des facteurs 
          en cause et dune réflexion de fond sur les leviers efficaces.
 La position de confiance : elle privilégie 
          la qualité de la relation, cest-à-dire laide 
          cognitive, individualisée, pour les « pourraient mieux 
          faire » et les « opposants », laide identitaire 
          qui sadresse aux élèves en souffrance, une plus 
          grande ouverture de lécole sur la vie. Il sagit de 
          passer dune relation de type vertical, trop anonyme, à 
          une coopération plus personnalisée qui assure mieux les 
          transitionalités nécessaires.
 La position novatrice : Elle correspond 
          à une remise en question radicale du mode de fonctionnement et 
          des finalités de la classe, à une autre façon de 
          faire groupe avec la classe, et les savoirs. Le problème de fond 
          consiste à résoudre la quadrature du cercle : combiner 
          la conduite collective de la classe avec le souci du développement 
          optimal de chacun. Le problème se pose dans les termes suivants 
          : il sagit dinventer les stratégies et les détours 
          qui permettront de développer des enfants, qui ne sont pas pareils 
          au départ, qui ne seront pas nécessairement pareils ou 
          égaux au terme du parcours, mais à qui auront été 
          données des chances pareilles en matière de compétences 
          diversifiées.
 
 A lépoque de transition qui est la nôtre, on ne peut 
          répondre quà la première des trois questions 
          que se posait Gauguin : « Doù venons-nous ? Que sommes-nous?Où 
          allons-nous ? » Si bien que jamais le rôle de ladulte 
          sachant transmettre à lenfant des façons structurantes 
          de se confronter aux inévitables accidents de parcours na 
          été aussi important. Les enfants savent reconnaître 
          les adultes que la nature a dotés de trois capacités : 
          la capacité dalliance, la capacité de réalisme, 
          la capacité de confiance dans laventure humaine. Ces 
          trois capacités forment dailleurs lessentiel de ce 
          qui définit linstance paternelle.
 La fonction paternelle, quelle soit exercée par un homme 
          ou une femme, le problème de lidentification sexuelle étant 
          mis à part, implique que lenfant se sente accompagné 
          de lintérieur par une présence qui, au travers de 
          sa façon dêtre face à la vie, lui montre de 
          la non-peur à grandir, ce que représente la croissance, 
          tout en sachant reconnaître quil est également légitime 
          davoir peur et dêtre maladroit ou désorienté. 
          Cest laspect alliance.
 Laspect réalisme, cest lintériorisation 
          du regard du tiers. Lorsque ce tiers est vécu comme un allié 
          quon a plaisir à respecter, on combine plus facilement 
          le fait de vouloir être un sujet qui dispose de lui-même, 
          avec les obligations du « cest comme çà », 
          avec lauto-réglementation des pulsions, avec la tenue dune 
          comptabilité suffisamment exigeante quant à la façon 
          de gérer son nom, son sexe, son image. Le réalisme, cest 
          damener lenfant à distinguer ce qui se fait de ce 
          qui ne se fait pas, à distinguer lessentiel de ce qui est 
          mineur, à savoir arrêter les fantasmes avant le passage 
          à lacte. Lun des exercices les plus difficiles est 
          de savoir procéder à la « séparation des 
          vies » et à la « séparation des espaces », 
          cest-à-dire quil est lui et non ses parents, tout 
          en étant solidaire deux et que lorsquil est à 
          lécole, il doit sefforcer de laisser de côté 
          ses préoccupations de la maison. En gros, le réalisme, 
          pour reprendre la distinction endogamie-exogamie, cest doser la 
          part dendogamique (lattachement au passé et à 
          la famille) qui doit entrer dans lexogamie (le trajet vers la 
          société adulte) et réciproquement.
 On peut résumer la modification que ce regard introduit en disant 
          quil correspond au passage du « regard photo » au 
          « regard cinéma ».. Le regard photo, cest lil 
          fixé sur le négatif, ce qui a refermé la temporalité 
          sur les difficultés. Le regard cinéma, cest inscrire 
          lenfant dans une temporalité réouverte. Cest 
          lui donner à intérioriser que, malgré toutes les 
          difficultés que cela semble présenter, il lui est possible 
          de se vivre comme porteur du passé quil a eu, comme porteur 
          de son présent, mais aussi comme porteur dune trajectoire 
          qui situe et relativise passé et présent, pour que la 
          vie puisse continuer.
 Mais le réalisme, pour ne verser ni dans la fadeur du suivisme 
          grégaire, ni dans la révolte stérile, nécessite 
          que la fonction paternelle et la culture transmettent suffisamment 
          de confiance dans laventure humaine et dans la place quon 
          peut y prendre. Un de mes patients sest senti guéri le 
          jour où il a pu dire : « Je réalise que jai 
          maintenant en moi quelque chose qui peut être intéressant 
          pour autrui
 Je ne sais pas quoi, mais je sais que je peux éventuellement 
          être intéressant et utile
 Il nest pas nécessaire 
          que je le sois. Limportant est que je sente cette possibilité 
          en moi. » Ce patient avait parfaitement compris une des pensées.
 Jacques LEVINEDocteur en Psychologie, Psychanalyste
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