Michel Vinais : La problématique de l'apprentissage

Articles et documents de travail


Articulation soin et pédagogie

Extrait des Cahiers de Beaumont : "Enfants et adolescents présentant des troubles à dominante psychique" N°54 Juin 1991.
Conférence du professeur J.HOCHMANN, psychiatre, psychanalyste, professeur à la Faculté de Médecine de Lyon et Directeur d'un CMP à Villeurbanne.

Je souhaiterais qu'à partir de vos pratiques, de vos expériences que nous puissions échanger sur ce problème, très difficile et en pleine évolution, de l'articulation des soins et des méthodes pédagogiques concernant des enfants qui présentent des troubles graves de la personnalité, bref ce qu'on appelle des enfants psychotiques et autistes...Je me référerai beaucoup aux enfants autistes car je crois que c'est un modèle, une sorte de paradigme ; quelquefois il m'arrive de dire que l'autisme est une ultra-psychose, et les choses qu'on observe et qu'on peut mettre en place avec les enfants autistes peuvent ensuite être utilisées avec d'autres enfants, même si l'autisme est heureusement quelque chose de relativement rare. Périodiquement, la grande presse se fait l'écho d'un certain nombre de débats qui agitent nos professions ; ces polémiques reposent sur deux faux problèmes, que je voudrais tout de suite écarter...
Le premier faux problème, c'est l'opposition entre une étiologie biologique et une étiologie psychologique des psychoses infantiles. Il faut d'abord dire que nous ne savons pas, que nous n'avons pas actuellement des éléments précis qui nous permettraient de dire à quoi est du une psychose infantile, ou un autisme. Il y a très vraisemblablement une intrication de facteurs j'y reviendrais dans le cours de mon exposé et vouloir adopter une position strictement psychologique ou une position strictement biologique, c'est vraiment passer à côté de la plaque : la question ne se pose pas dans ces termes-là, en fait nous sommes tous des êtres faits à la fois d'un cerveau et de quelque chose qui est la pensée, et il est tout à fait aberrant de vouloir couper les problèmes en créant de fausses oppositions.
L'autre opposition est celle entre soin et pédagogie. Vous savez que, historiquement, la psychiatrie infanto-juvénile est une psychiatrie elle-même dans l'enfance, dans ce sens qu'elle est assez récente. Pendant tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle, les seules approches que l'on envisageait pour les enfants présentant des troubles graves de la personnalité étaient strictement pédagogiques et basées sur une idée qui était celle du handicap. Si vous regardez par exemple quelqu'un, pour qui, d'ailleurs, j'ai un immense respect et qui est un peu notre prédécesseur à tous, SEGUIN, sa pensée est basée sur l'idée que l'enfant qui a des troubles intellectuels est un enfant qui a un handicap, à qui il manque une faculté ; c'est encore la grande période de la psychologie des facultés. De ce fait toute la pédagogie spécialisée fonctionne comme une méthode réparatrice qui va chercher à utiliser les facultés restantes pour combler en quelque sorte ce manque, laissé par la faculté qui s'est insuffisamment développée. L'approche de l'enfant en difficulté psychologique a été basée sur cette idée-là : développer les facultés restantes, et qu'il y avait là une sorte de handicap fixé sur lequel on ne pouvait pas grand-chose en lui-même. En somme, le modèle qui a informé toute la pratique avec les enfants en difficulté psychologique, c'est le modèle des handicaps sensoriels. ITARD, le premier à s'être intéressé à un enfant autiste, Victor, le sauvage de l'Aveyron, était un médecin de sourd-muet, et c'est dans une institution de sourds-muets qu'il a travaillé essentiellement. Avec quelqu'un qui est sourd, on essaye de développer d'autres facultés pour pallier son handicap. C'est ce modèle-là qui a très longtemps dominé l'approche des enfants en difficulté psychologique. Par la suite, avec la psychanalyse, autour des années 1950, s'est développée au contraire une attitude tout à fait différente qui était l'attitude du soin, c'est-à-dire un autre modèle, non plus du handicap, mais de la maladie, qui consiste à dire : si l'enfant a des troubles psychiques, c'est qu'il y a en lui un processus évolutif qui l'a conduit à construire un certain nombre de défenses contre des angoisses insurmontables, et, si on réussit par des méthodes psychothérapiques, à lui faire exprimer ses angoisses, à les nommer, à le libérer par différentes interprétations, les processus d'apprentissage se remettront miraculeusement en marche, là encore je caricature pour montrer les points de vue qui se sont, pendant longtemps, affrontés. Au tout pédagogique, a donc succédé un tout thérapeutique et on pouvait entendre, il y a encore dix ou quinze ans, un certain nombre de gens qui s'opposaient absolument à ce qu'un enfant autiste, ou un enfant psychotique, soit pris en charge sur le plan pédagogique, en disant : " il n'est pas prêt pour ça ! ". Ce sont des phrases que certains d'entre vous ont pu entendre. Il fallait attendre que le travail thérapeutique se soit développé suffisamment pour enfin essayer d'enseigner quelque chose à l'enfant, et utiliser sa tendance à connaître, une fois celle-ci libérée par le travail thérapeutique. En fait, on attendait très longtemps et finalement, on se contentait des méthodes thérapeutiques et on ne faisait rien sur le plan pédagogique. Devant ces excès du tout thérapeutique, la réaction n'a pas tardé : vous savez qu'actuellement, se développent des procédés strictement pédagogiques qui visent à revenir, en somme, à cette première période dont je vous parlais tout à l'heure, à la psychologie des facultés, et qui rejettent énergiquement toute approche thérapeutique, en disant : " ces enfants sont des handicapés : ". J'ai assisté récemment à un colloque où quelqu'un disait que l'autisme n'était pas une maladie, mais un handicap, il s'agissait de rééduquer les autistes, un point c'est tout !, le reste n'étant qu'escroquerie. On a même ajouté que l'on culpabilisait les parents, etc… enfin vous connaissez tous ces arguments. Je voudrais dire que ce problème de l'opposition entre soin et pédagogie me semble un faux problème, complètement dépassé et que, de mon point de vue, et j'annonce tout de suite mon argument, s'agissant d'un enfant, il n'y a pas de soin sans pédagogie, il n'y a pas non plus de pédagogie sans soin. Voilà en gros ce que je voudrais faire passer comme message ; à partir du moment où vous avez entendu cela, vous avez entendu tout le reste…
Je vais quand même essayer d'aller un peu plus loin, en décrivant le système que nous avons mis sur pied depuis une vingtaine d'années à Lyon Villeurbanne, pour des enfants psychotiques et autistes ; après avoir décrit ce système, j'essaierai de vous parler sur un mode un peu plus théorique de la pensée psychotique, des particularités de l'enfant psychotique, comment on peut comprendre théoriquement les approches que l'on met en place.
Dans mes contacts quotidiens avec des instituteurs et des institutrices spécialisés avec qui je travaille, nous avons mis actuellement en place un groupe de recherche, qui démarre assez timidement, mais où nous essayons de réfléchir sur les particularités de la pensée de l'enfant psychotique, sur son rapport au savoir qu'on lui propose, et à partir de là sur les méthodes pédagogiques : mais n'attendez pas de moi que je fournisse des recettes ou des méthodes pédagogiques, je vous dirai les lignes de recherches qui sont les nôtres, pas plus.
Quand je décris le système qu'on a mis en place à Villeurbanne, je prends souvent une métaphore un peu triviale, j'appelle cela un tabouret ! Un tabouret à quatre pieds ; si on coupe un pied, on risque de se casser la figure ; la métaphore du tabouret vise à dire que chacun de ces pieds est aussi indispensable que les autres. Il n'y en a pas un qui doit être plus long que les autres sinon le tabouret serait bancal.
Le premier pied de mon tabouret, c'est le soin individuel ; c'est peut-être une des particularités du travail que nous avons mis en place à Villeurbanne. Pour ceux d'entre vous qui ont travaillé dans des institutions médico-pédagogiques, des hôpitaux de jour, vous savez qu'habituellement on commence par prendre l'enfant en groupe et on lui cherche éventuellement un thérapeute individuel. Nous, nous avons pris une position inverse, non pas pour faire le contraire de tout le monde, mais pour des raisons historiques, parce qu'on a démarré avec très peu d'enfants, c'est une institution qui a grandi petit à petit (en ce moment nous avons une vingtaine d'enfants), mais aussi pour des raisons théoriques qui, très rapidement, nous sont apparues importantes et que je développerai tout à l'heure. Lorsqu'un enfant arrive chez nous, il est confié à une personne qui va être sa soignante. J'emploierai le féminin, parce qu'il se trouve que je travaille avec des femmes. Donc, cet enfant est confié à une personne qui va être sa soignante de référence, le pivot autour duquel tout le reste va se mettre en place. La soignante voit l'enfant de trois à cinq fois par semaine ; ce sont des séances qui durent en général une heure. Pendant un certain temps elle va avoir essentiellement pour fonction d'apprivoiser l'enfant psychotique ou autiste, de faire connaissance avec lui. On cherche à ce que ces séances se déroulent dans le même lieu, dans un bureau, et dans le même temps, de manière à ce que l'enfant puisse se repérer à partir de ce qui se passe avec sa soignante, spécifier ce qu'il fait avec elle par rapport à ce déroulement des séances dans le même lieu, à la même heure, dans le même temps de trois à cinq fois par semaine, séances pour lesquelles les soignantes, qui sont soit des psychologues, soit des infirmières ou des éducatrices, vont utiliser les médiations habituelles avec l'enfant : des jouets, des papiers, des crayons, de la pâte à modeler etc. ça n'a rien en soi de très original. Cette période d'apprivoisement, je l'appelle le temps du maternage, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas du tout pour la soignante en question de devenir une sorte de substitut maternel pour l'enfant ; l'enfant a par ailleurs une famille ; s'il n'en a pas, ou si sa famille, comme il arrive dans quelques cas, est totalement inefficace ou ne peut plus faire face, on utilise un système de placement familial avec des familles d'accueil. Donc cette soignante n'a pas à remplacer la mère pour l'enfant, elle est, ce que je pourrais appeler une mère symbolique ! Il s'agit de créer une sorte de métaphore de maternité, qu'une maternité réelle. En effet, un des gros problèmes des enfants qui ont de graves troubles psychologiques, c'est de ne pas accéder ou d'avoir beaucoup de difficultés à accéder au monde des symbolisations. Le fait de rencontrer trois à cinq fois par semaine une personne qui fait avec lui comme une maman, sans être vraiment une maman, qui joue en somme avec lui à la maman avec des jouets et toutes sortes d'activités, c'est déjà créer pour cet enfant quelque chose comme une ébauche de symbolisation ou de métaphorisation. Cette soignante a donc au début fonction de maternage, d'évocation de ce qui est symbole…Ce qui est important finalement, c'est ce qui n'est pas là autant que ce qui est là…Ce qu'elle ne donne pas est au moins aussi important que ce qu'elle donne. Je m'explique : quand un enfant commence à s'attacher à une personne qu'il voit trois ou quatre fois par semaine et qui s'occupe de lui pendant ce temps, cette personne va progressivement lui faire éprouver l'absence : il va s'apercevoir des moments où elle est là, et puis des moments où elle n'est pas là…les moments où elle n'est pas là vont lui apparaître comme des moments difficiles, les séparations sont quelquefois douloureuses…mais le fait de contribuer à dessiner petit à petit à l'intérieur du psychisme de l'enfant les contours de l'absence, c'est créer la place à l'intérieur d'un enfant pour un processus de symbolisation. Symboliser cela consiste à représenter quelque chose qui n'est plus là…Quand un enfant prend son pouce dans la bouche, et qu'on dit que le pouce symbolise le sein maternel, on pourrait dire aussi bien qu'il symbolise l'absence du sein maternel… De la même manière, si j'ose ainsi m'exprimer, l'heure de thérapie, dans un premier temps, est un peu comme le pouce dans la bouche, quelque chose qui compte autant par ce qu'il signifie de l'absence que par ce qu'il apporte de présence. Encore faut-il qu'il apporte quand même quelque chose…le symbole, ça s'étaye sur des éléments de réalité. Quand je dis que le pouce symbolise le sein, c'est quelque chose que l'on peut toucher, qu'on peut sucer, qu'on peut sentir, ce n'est pas là une image, ni une pure idée, c'est quelque chose dans la réalité. Que dans ce temps de maternage, la soignante soit une réalité pour l'enfant, est important. C'est d'ailleurs une spécificité des soins aux enfants psychotiques que de leur donner ces éléments de réalité car, avec un enfant beaucoup moins perturbé ou avec un adulte, on peut se contenter d'avoir une position en retrait, d'attendre que l'enfant produise et d'apporter des interprétations. Avec un enfant psychotique, qui n'a pas autant de facilités à créer des symboles, il faut un certain engagement dans la réalité, qui peut prendre d'ailleurs quelquefois l'aspect de petites modifications du cadre, c'est-à-dire que la soignante, bien qu'elle ait toujours des temps précis avec l'enfant et que cela se fasse dans un lieu précis, peut quelquefois sortir aussi de ce bureau, faire un tour avec l'enfant dans la rue, se promener dans les couloirs.
Lorsque progressivement, leurs relations se consolident et que l'enfant commence à parler, on passe à un deuxième temps. Bien sûr, ces deux temps sont tout à fait schématiques, ça ne se passe pas de façon aussi nette. Ce deuxième temps, je l'appelle le temps du conte. Progressivement, la soignante va pouvoir mettre des mots sur ce qu'elle vit avec l'enfant, et commencer à écrire avec lui, écrire au sens métaphorique du thème, leur histoire commune : petit à petit, quelque chose d'une mise en mots d'une histoire qu'il sont en train de vivre et de fabriquer ensemble, va se développer. Cette idée d'appeler ça un conte m'a été donnée par un petit garçon qui s'appelait David, et que j'appelle Didier, dans le livre auquel vous avez fait allusion. L'histoire est la suivante : David avait une soignante qui avait construit avec lui une relation très solide ; elle est partie en vacances. Didier a assez mal supporté cette séparation. Quand elle rentre de vacances, David met en scène une sorte d'histoire, raconte quelque chose de très confus, concernant un château à l'intérieur duquel se trouvait un petit lutin ; ce petit lutin mettait le feu au château, le château brûlait et se détruisait, c'était une histoire épouvantable qui reprenait des épisodes antérieurs de leurs histoire commune. Sachant un peu ce que ce type d'images pouvait spécifier pour David, la soignante lui raconte par petits bouts l'histoire suivante : quand Annette est partie en vacances, David était très en colère et il a pensé que le petit David dans la tête d'Annette allait mettre le feu, et qu'Annette serait complètement brûlée et qu'elle ne reviendrait pas…
Il a eu très peur. David écoute avec beaucoup d'intérêt cette histoire, il prend une couverture, qu'il met sur une table, il construit une sorte de maison, se met sous la table et dit à Annette : " viens t'asseoir à côté de mois dans le château et raconte-moi encore des histoires du petit David dans la tête d'Annette ". Ce " raconte-moi une histoire " décrit très bien ce que j'appelle le temps du conte, c'est-à-dire un temps où la soignante essaye de mettre en mots et en histoire, leur vécu commun au fil des années. Donc c'est le premier pied de mon tabouret : le soin individuel.

Le deuxième élément de mon tabouret, ce sont les activités de groupe. Elles sont généralement secondes, un peu différentes de ce qu'on développe habituellement dans les institutions où on commence plutôt par le groupe ; mais, assez vite, quand l'enfant commence à être bien accroché à sa soignante et à l'institution, il est introduit dans un certain nombre de groupes, menés par des soignantes, des infirmières, et qui vont avoir essentiellement deux objectifs. Le premier est d'aider les enfants à commencer à avoir des liens les uns avec les autres, à prendre conscience que les autres enfants existent, à créer des systèmes de repérage entre eux. Ce sont des groupes de trois à cinq enfants avec une forte présence d'adultes, il y a presque autan d'adultes que d'enfants, généralement deux ou trois adultes pour cinq enfants. Certains de ces groupes ont des activités précises. Je participe personnellement à l'un de ces groupes qui se déroule deux fois par semaine et qui est un repas. Il s'agit souvent d'activités qui essayent d'être aussi proches que possible de la vie quotidienne de manière à créer une sorte de ciment. Par exemple ce groupe qui a lieu autour d'un repas se fait de la façon suivante : les enfants arrivent vers 11 heures ; à ce moment-là on essaye de susciter en eux la participation à la confection et au choix du menu ; comme ce sont des enfants qui possèdent à peine le langage, on n'est pas très difficile : si un enfant prononce le mot salade, on comprend qu'il faut acheter de la salade, s'il dit poisson, on pense au poisson, on essaye de saisir ce qui peut apparaître comme créativité chez l'enfant ; à partir de là, certains vont faire les courses puis on se retrouve, on fait la cuisine, on mange et ensuite on se réunit autour du café, pour les adultes, les enfants ont droit au coca, et on essaye de discuter de ce que l'on a vécu ensemble pendant ces deux ou trois heures. Ce n'est pas toujours très facile, parce que ce sont des enfants dont certains ont très peu de langage, mais à travers ces quelques éléments, on est très attentif à ce qui se passe entre eux au point de vue interactif. Il est apparu au fil des années que ces groupes étaient un très bon moyen d'apprentissage de la symbolisation, en particulier leur intérêt fondamental est de servir de substratum au vécu de l'absence. Je m'explique avec un exemple : à un moment où le groupe était de cinq enfants, et où un des enfants manquait, on a vu une petite fille autiste prendre cinq chaises, les mettre les unes à côté des autres et passer par une espèce de mouvement de reptation d'une chaise sur l'autre comme si elle essayait de rétablir un lien et de combler l'absence marquée par celui qui n'était pas là. Ce sont des petits événements de ce genre qui montrent que lorsque le groupe commence à exister, des absences à l'intérieur du groupe peuvent être évoquées, peuvent être symbolisées. Notre travail est d'essayer d'aider l'enfant à évoquer, à symboliser l'absence, comme je le disais tout à l'heure, à essayer de créer en lui un espace où peut se loger quelque chose d'absent, où peut se loger un processus de symbolisation, évidemment soutenu par ce que nous disons, par ce que nous transmettons. C'est une des premières fonctions du groupe de créer entre les enfants les liens qui permettent d'expérimenter les manques, les absences.
Le deuxième objectif de ces groupes est de favoriser une ébauche de socialisation vers le monde extérieur et certains de ces groupes vont dans des centres sociaux participer à des activités : patinoire, etc. enfin tout ce que l'on peut faire dans ces centres. Ils se mêlent en particulier aux activités des mercredis des centres aérés, accompagnés par des soignants, et rencontrent à ce moment-là les autres enfants dans la ville. C'est donc le deuxième pied de mon tabouret.

Le troisième pied qui est également essentiel, c'est le travail avec la famille. On a beaucoup dit que les " psy " culpabilisaient les familles et, peut-être cela a-t-il été vrai. Un certain nombre de gens ont tenu sur les familles des psychotiques des propos inadmissibles, non seulement injurieux mais qui ne reposaient sur aucune connaissance précise. Lorsqu'un psychanalyste, dont je ne dirai pas le nom, a écrit que la psychose de l'enfant était fille de la perversion maternelle, quand on est mère d'enfant psychotique et que l'on lit cela, ça ne fait pas plaisir, d'autant moins qu'on ne voit pas sur quoi cela repose. Donc c'est vrai qu'il y a eu quelques excès dans la profession, mais je ne crois pas que ce soit ça qui ait justifié ce mouvement, disant que les psy culpabilisaient les parents. Je crois le problème beaucoup plus fondamental, et qu'il est tout à fait impossible d'avoir un enfant psychotique, autiste, sans être culpabilisé. J'irai même plus loin : il est impossible d'avoir un enfant sans se sentir coupable. Ceux d'entre vous qui sont père ou mère le savent bien, toute maternité et toute paternité impliquent nécessairement un élément de culpabilité, même si nos enfants réussissent très bien, si nous en sommes très satisfaits. Freud disait en parlant de l'amour parental quelque chose comme : " l'amour parental si beau et si touchant n'est rien d'autre qu'une projection narcissique ". C'est vrai que nous nous projetons dans nos enfants, mais qui dit narcissisme, renvoie à des idéaux que nous avons et la réalité n'est jamais au niveau de l'idéal. Quand la distance avec l'idéal nous semble trop grande, elle entraîne des sentiments d'échec, par conséquent de culpabilité. Cela s'accroît de façon considérable si l'enfant est mal formé et, lorsque l'enfant est psychotique ou autiste, cette culpabilité est très difficile à porter, même franchement intolérable. Il y a un procédé vieux comme le monde pour se débarrasser d'une culpabilité trop forte, c'est la projection, c'est-à-dire ce n'est pas moi qui me sens coupable, c'est l'autre qui m'accuse de quelque chose. Un certain nombre de réactions des parents s'explique ainsi. D'où d'ailleurs, l'importance fondamentale du travail avec des familles, ne serait-ce, justement, que pour essayer, en parlant avec eux, de déconstruire ces systèmes de culpabilisation, de distanciation par rapport à un idéal inaccessible. Une approche qui me semble très intéressante, c'est de faire collaborer les parents à notre travail. Je crois que c'est une des choses que cette école comportementaliste dont vous avez peut-être entendu parler, de Schopler, aux Etats-Unis, a très bien trouvé : donner aux parents un rôle actif dans la prise en charge des enfants psychotiques et autistes. Le terme qu'ils emploient est celui de thérapeute associé, je n'aime pas beaucoup ce terme, parce que je crois qu'il ne faut pas mélanger les genres, il y a des gens qui sont là pour soigner, et d'autres pour élever leur enfant, chacun a son domaine et il s'agit de collaborer. Je ne les appellerai donc pas des thérapeutes associés, mais les parents ont énormément de choses à nous apporter et il est très important de les placer dans un rôle actif par rapport aux soins et non pas comme les purs réceptacles de nos bonnes volontés et de nos merveilleuses techniques, thérapeutiques ou pédagogiques. Leur donner un rôle actif, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, par exemple, leur demander de nous raconter l'histoire de l'enfant et pas seulement sur un mode anecdotique. Les parents dont les dépositaires de l'histoire de l'enfant, ils savent sur lui, quel que soit l'âge auquel nous le voyons, des tas de choses que nous ne savons pas, il sont capables quand l'enfant ne parle encore qu'un charabia qu'ils sont seuls à comprendre, de servir d'interprètes. Souvent d'ailleurs, dans le début de ces séances individuelles dont je parlais tout à l'heure, la soignante introduit la mère comme interprète : la mère a alors un rôle actif. Dépositaires de l'histoire de l'enfant, dépositaires du langage, souvent ces parents ont aussi inventé des procédures efficaces pour aider leur enfant. On a beaucoup insisté sur les aspects pathogènes de la famille, cela existe, je ne veux pas faire dans l'angélisme. Quelles que soient les causes, il se crée entre les parents et les enfants, particulièrement lorsqu'il y a une pathologie, mais aussi dans les familles normales, des cercles vicieux interactifs où les parents réagissent face à l'enfant parce qu'ils sont angoissés, culpabilisés de telle manière que leur comportement aggrave la pathologie de l'enfant et on sait bien qu'un certain nombre d'enfants psychotiques ou autistes, dès qu'ils se trouvent à la maison, sont absolument insupportables et quand ils sortent du milieu familial, tout à fait différents, comme s'il se créait entre les parents et eux quelque chose qui aggravait leur pathologie. Cela aussi est un travail que l'on peut faire avec les parents : essayer de déconstruire certaines interactions pathogènes. Mais les parents inventent aussi des procédures extrêmement efficaces que nous pouvons soutenir, nous pouvons leur donner un label de qualité, si j'ose ainsi m'exprimer. Je pense à un enfant psychotique qu'on a suivi pendant très longtemps, c'était le premier dont on se soit occupé, il y a plus de 20 ans maintenant, enfant qui avait, comme souvent les enfants autistes, des préoccupations anatomiques très importantes, qui était fasciné par les articulations, par le fonctionnement du corps. Ses parents avaient acheté des livres d'anatomie et passaient de longs moments avec lui : c'était des gens très simples qui avaient fortement enrichi leurs connaissances, ils s'étaient mis à apprendre l'anatomie et ils passaient de très bons moments avec lui à essayer d'utiliser son symptôme pour un échange et finalement aussi pour des apprentissages. Je fais ici une petite parenthèse et j'y reviendrai lorsqu'on parlera pédagogie : il est très important avec ces enfants de passer par le symptôme, c'est Bruno Bettelheim qui nous l'a appris, de se servir du symptôme dans ce que ce symptôme peut avoir de positif. B.Bettelheim que j'ai eu la chance d'assez bien connaître et qui est venu 2 ans de suite à Villeurbanne nous aider dans notre travail, avait vis-à-vis des parents des attitudes très critiques que je ne partage pas, mais il avait une connaissance assez extraordinaire des enfants autistes et une façon de les approcher très intelligente, qui essayait de connoter de façon positive le symptôme, enfin d'utiliser le symptôme pour ce qu'il représente de créatif. Il avait une anecdote très amusante qui, paraît-il, est vraie : pendant la Révolution, Danton, à la fenêtre de son logement quelque part dans Paris, voit passer une manifestation, des gens avec des pics, des banderoles ! Alors il descend en courant et se met devant la manifestation. Un autre révolutionnaire qui était avec lui, lui demande : " tu sais pourquoi ils sont en train de manifester ? " et Danton dit : " Pas du tout, mais un leader révolutionnaire doit toujours être en tête de la manifestation ! Et Bettelheim reprenait cette phrase en disant : " c'est la même chose avec les symptômes ! " Les symptômes de l'enfant psychotique sont une manifestation dont très souvent nous ne connaissons pas le sens, mais le thérapeute doit toujours être en tête : il faut l'utiliser, il faut marcher avec le symptôme ; petit à petit, on comprend ce que ce symptôme veut dire et on tente de le déconstruire.
Pour en revenir au petit garçon de tout à l'heure, les parents avaient pris le symptôme, purement psychotique, cette marotte extraordinaire pour l'anatomie et, à partir de là, ils avaient construit quelque chose qui leur permettait d'avoir avec cet enfant des relations tout à fait positives. Plus tard, la marotte de l'enfant a évolué, de l'anatomie, il est passé à l'électronique, et le père s'est lancé dans les études assez poussées d'électronique pour pouvoir le suivre ; Le garçon qui a aujourd'hui plus de 20 ans, est un technicien en électronique assez sophistiqué, capable de faire des réparations très compliquées, avec une méthode d'ailleurs qui est la sienne. On s'était dit que, puisqu'il était tellement passionné par l'électronique, on allait essayer de lui trouver un apprentissage : on avait fait la connaissance d'un monsieur un peu marginal il faut toujours trouver des gens un peu spéciaux pour tenter des intégrations de ce genre et ce personnage très original, un inventeur, genre concours Lépine, avait un petit atelier où il travaillait seul la plupart du temps et où il construisait des appareils sur mesure pour la Faculté des Sciences. Il avait accepté de prendre Alain chez lui en apprentissage : au bout de quelques semaines, il m'a téléphoné en disant : " Je ne peux pas continuer, je suis en train de devenir complètement fou… ". Je lui dis : " qu'est-ce qu'il se passe ? " et il me dit : " Quand on m'amène un appareil en panne à réparer, je le confie à Alain, j'ai essayé de lui apprendre des procédures logiques, on décompose l'appareil en parties pour trouver la panne. Il n'a jamais voulu accepter mon système, il fait ça d'une façon que je n'ai jamais réussi à comprendre, il prend ça dans tous les sens, il trouve la panne, il va plus vite que moi !. Et il ajoutait : " je ne peux pas continuer ainsi, il bouleverse tous mes cadres, toute ma logique est en train de vaciller ! " Donc Alain est réparateur en télévision et magnétophone pour les gens du voisinage, il prend son temps, mais il répare, parce que son père, quand Alain avait dix, douze ans, ayant découvert cette espèce de fascination folle, cette passion extraordinaire pour l'électronique, s'est mis à apprendre l'électronique pour pouvoir travailler avec lui. Deux petites anecdotes, encore, pour vous montrer en quoi cette fascination était folle, et reste encore folle : la maison de ces gens est très curieuse : lorsqu'on sonne on vous ouvre et la porte, en s'ouvrant déclenche un ventilateur qui en déclenche lui-même un deuxième, il y a cinq ou six machines qui se mettent en route dans toute la maison, qui ne servent à rien d'ailleurs, mais toute la maison se met en marche avec des machines qui sont branchées les unes sur les autres. Quelquefois, tout fou qu'il est, il est capable aussi d'utiliser ses compétences : la famille se chauffe avec un poêle à mazout. On leur livre le mazout dans des espèces de gros tonneaux et il faut vider ces tonneaux dans une cuve qui alimente le poêle. Un jour le père dit à Alain : " Tu me videras les tonneaux de mazout dans la cuve ". Quand il revient le soir, il dit à Alain : " Alors tu as vidé les tonneaux ? " et Alain : " non, je n'ai pas vidé les tonneaux ! C'est fatiguant, c'est lourd ". Alors le père : " Comment je vais faire ? ". Mais ta cuve, elle est pleine ! " Alain qui ramasse dans les dépôts d'ordures des tas de machines, avait démonté une pompe de machine à laver la vaisselle, il l'avait montée ; et avait pompé le mazout du fût à la cuve…cela marchait très bien. Alors le père a dit : " écoute, cela fait des semaines que je me crève à porter ! Pourquoi tu n'as jamais pensé à me dire ça ? Alain de répondre : " Mais tu ne m'as jamais demandé de m'occuper du mazout ! " Ce qui est tout a fait dans la logique psychotique. Enfin, tout cela pour dire que c'est très important de s'appuyer sur les familles, de travailler avec la famille, non seulement d'essayer de déconstruite les cercles vicieux qui peuvent exister entre parents et enfants, mais encore d'appuyer tous les éléments positifs de ce que les familles peuvent inventer comme procédures pour aider leur enfant.

Le quatrième pied du tabouret, c'est celui, bien sûr qui vous intéresse le plus directement, c'est l'école ! Comme je le disais tout à l'heure, longtemps on a voulu opposer le soin et la pédagogie et je crois que l'on faisait fausse route. Je répète qu'il n'y a pas de soin sans pédagogie, et pas de pédagogie sans soin. Il nous a semblé très tôt qu'il était absolument indispensable que les enfants aillent à l'école. Pour plusieurs raisons, d'abord parce que tous les enfants vont à l'école, et que ça représente quelque chose de l'ordre d'une désocialisation terrible quand on décide qu'un enfant n'ira pas à l'école ! On surajoute en somme une sorte d'aliénation sociale à son aliénation mentale, on le met carrément à part des autres enfants, puisqu'il ne va pas à l'école. Ce n'est pas seulement lui qu'on met à part, mais aussi sa famille, et les familles supportent très mal que leur enfant n'aille pas à l'école, donc c'est la deuxième raison pour laquelle, si on veut pouvoir créer une alliance thérapeutique avec les familles, si on veut pouvoir travailler avec elles, il est indispensable que les enfants puissent aller à l'école. Pendant longtemps, nos tentatives d'intégration scolaire ne sont pas allées au-delà. Nous mettions les enfants à l'école pour qu'ils aillent à l'école, comme tous les enfants et pour faire plaisir aux parents, pour qu'ils se sentent comme tous les autres parents. De ce fait nous fonctionnions et je crois que beaucoup d'institutions fonctionnent ainsi, dans le leurre, dans l'illusion. Parce que ces enfants n'apprenaient pas grand-chose à l'école, et c'est la troisième raison essentielle pour laquelle il faut que les enfants aillent à l'école, j'aurai pu la mettre en premier : les enfants vont à l'école pour apprendre, tous les enfants ont besoin d'apprendre quelque chose. L'école n'est pas seulement un lieu de socialisation, elle l'est sans aucun doute, elle est avant tout un lieu de transmission des connaissances. Pendant longtemps cette transmission des connaissances, nous l'avions effectivement laissée de côté en pensant surtout à la socialisation parce qu'on était encore pris dans cette idée, que je dénonçais tout à l'heure, à savoir que ces enfants n'étaient pas prêts, que ce n'était pas encore le moment pour eux de vraiment apprendre. Ces dernières tentatives d'insertion scolaire ont été faites, d'une part dans les écoles maternelles pour les petits, et pour les plus grands dans les classes de perfectionnement de la ville de Villeurbanne. Je dois dire que nous avons eu de la part d'un certain nombre d'instituteurs des classes de perfectionnement un concours tout à fait extraordinaire, de gens qui, régulièrement, acceptaient de prendre, à raison d'un ou deux par classe deux c'est déjà beaucoup un enfant psychotique ou un enfant autiste dans leur classe. Je leur suis infiniment reconnaissant parce que cela représentait de leur part une très grande abnégation. C'était bien avant les circulaires sur l'intégration scolaire et il nous est apparu d'emblée que cela n'était possible qu'au terme d'un contrat ; nous ne faisions pas un contrat écrit mais un contrat verbal, il fallait que l'instituteur s'engage et soit d'accord, mais aussi que nous ayons un engagement vis-à-vis de lui, d'abord de venir dans la classe s'il y avait du grabuge, et, si cela ne pouvait pas continuer, de chercher une autre solution pour l'enfant. David a ainsi fait tous les instituteurs de perfectionnement de Villeurbanne, puis des communes adjacentes. Il avait une formule : " j'en ai encore tué un ! ", " j'en ai cassé encore un ! " chaque fois qu'il passait dans la classe suivante. Généralement, chaque instituteur tenait un trimestre.
Cette utilisation de l'école, à la fois comme lieu de socialisation et, il faut bien le dire, comme leurre pour les parents, ne nous a pas vraiment satisfaits au bout d'un certain temps, nous sommes devenus très critiques par rapport à ce que nous faisions parce qu'il nous est apparu que les enfants n'apprenaient rien. Il y avait une sorte de consensus, que, de toute façon, ils ne pouvaient pas apprendre. Alors, se produisait un phénomène que j'ai essayé de décrire sous le nom de mascotte : l'enfant devenait la mascotte de la classe. Le corps des instituteurs était très fier d'avoir son psychotique ; il y a même eu des maîtres qui nous ont demandé, pour un qui s'en allait de leur en fournir un de remplacement…Les parents, étaient très contents, leur enfant allait à l'école ; nous on se sentait très fiers parce qu'on faisait de l'intégration scolaire avant la lettre. Cela se passait au début des années 70…Mais cette position de mascotte n'apportait pas grand-chose à l'enfant, il n'apprenait rien et même elle avait des effets nuisibles parce que, dans certains cas, l'enfant devenait pour les autres celui qui a droit de faire ce que personne n'a le droit de faire. Evidemment, si un enfant dans une classe ordinaire ou dans une cour de récréation baisse son pantalon, montre ses fesses ou ses organes génitaux, en général les petits camarades se moquent de lui, puis le maître intervient, il se passe quelque chose qui montre que ce n'est pas permis. L'enfant psychotique pouvait le faire, il pouvait faire ce que tous les autres ont envie, mais n'osent pas faire, en somme les autres prenaient un grand plaisir, par délégation, à voir enfin quelqu'un qui pouvait faire ça. On essayait de pousser l'enfant psychotique à avoir des comportements les plus extravagants possible. Il est apparu dans certains cas que cela servait aux maîtres à régler leurs problèmes ! Je m'adresse à des maîtres, mais je pense que vous comprendrez ce que je veux dire, chacun d'entre nous a gardé de très bons souvenirs de son école, mais il n'empêche que chacun de nous a gardé aussi des sentiments qui ont à voir avec la violence dont nous avons tous été l'objet, car il y a dans toute pédagogie aussi peu directive, aussi moderne soit-elle, un élément de violence : la pédagogie c'est, dans une certaine mesure, une imposition de savoir, une imposition de discipline qui suscite en nous des attitudes, plus ou moins sublimées, plus ou moins intégrées, de revanche à prendre sur l'école. L'enfant autiste ou psychotique, qui remettait complètement en cause le système scolaire, était aussi pour le maître une façon d'avoir quelqu'un qui, par délégation, exprimait cette revanche. Je pense encore à une anecdote : une enfant autiste avait coiffé la directrice avec un seau d'eau, pour la plus grande joie de l'institutrice qui me racontait l'histoire. Je ne sais pas quelles étaient les relations entre l'institutrice et sa directrice, mais manifestement, lorsqu'elle me racontait l'histoire, elle était tout à fait ravie de cette remise en cause de la hiérarchie…Alors je crois que c'est bon d'en rire maintenant, mais ce n'est ni très pédagogique, ni très bon pour le développement des enfants. C'est ce qui nous a amenés progressivement à réfléchir sur ce que nous faisions et à cesser ces intégrations tous azimuts pour développer des classes spécialisées. Je dois dire que j'ai été très aidé par Monsieur Jouvet (?) Inspecteur départemental d'éducation spécialisée du Rhône, qui m'a aidé à créer deux classes spécialisées qui ont chacune 6 enfants et qui fonctionnent dans une école choisie très près de notre centre médico-psychologique. Les allées et venues d'un lieu à un autre sont très faciles, mais ce sont quand même deux lieux différents. Une idée nous est apparue très importante, puisque je vous parlais des quatre pieds du tabouret, c'est que chacun de ces pieds devait avoir son individualité et être nettement différencié dans nos têtes d'abord, mais, aussi placé de telle manière qu'il puisse être nettement différencié dans la tête de l'enfant. Si les pieds du tabouret se confondent, il n'y en a plus qu'un, pas quatre ! Le fait que la pédagogie se fasse à l'école et les soins dans le centre médico-psychologique, le fait que nous dépendions d'administrations complètement différentes, que je n'aie aucune fonction d'autorité sur les institutrices, qui sont intégrées dans leur équipe pédagogique et dépendent de leur directeur, de leur inspecteur, et que j'ai de mon côté mon équipe de soins, fait que nous collaborons d'une façon très proche. Nous nous voyons tous les jours, mais chacun a son chez soi nettement caractérisé. Donc, dans cette école voisine, 2 classes ont été créées. Pour vous donner des détails administratifs, ces 2 classes tout à fait banalisées, ont un statut très particulier : pour y rentrer, il ne faut pas passer par une CCPE, ce ne sont pas des classes de perfectionnement. L'entrée est soumise à un triple accord : bien sûr, celui des parents, ensuite celui de l'institutrice qui va recevoir l'enfant, qui doit donc savoir si cet enfant peut s'intégrer dans le groupe classe, s'il correspond à ce qu'elle estime pouvoir apporter, et puis notre accord à nous qui le lui envoyons. Il n'est donc pas possible à l'administration scolaire de dire : tel enfant ira dans cette classe. Les entrées sont soumises à ce triple accord et il est dit clairement que les enfants qui vont dans cette classe sont forcément en soin dans notre centre. Il n'est pas possible, bien que certaines familles aient tenté de pervertir le système, de mettre un enfant dans cette classe sans qu'il ait en même temps de soins. Cette condition exerce un peu un chantage sur certaines familles qui seraient plus intéressées par la pédagogie que par le soin, mais nous avons toujours tenu très fermement sur ces points.
D'ailleurs, pour donner à l'accord de l'institutrice toute sa valeur, avant que l'enfant vienne dans la classe, il est généralement reçu deux jours en observation : une institutrice essaye de voir si l'enfant va pouvoir s'adapter ou pas. Chacune a six élèves. On avait envisagé de les regrouper en une classe de douze avec deux institutrices, mais cela n'a pas très bien marché. Finalement, c'est vraiment deux classes individualisées, bien qu'elles aient des activités communes et puissent à certains moments s'échanger certains enfants. Ce sont des classes intégrées. Qu'est-ce que cela veut dire ? Plusieurs choses : que les institutrices sont intégrées dans le groupe scolaire, et qu'elles font partie de l'équipe pédagogique de l'école, elles participent au tour de garde dans les récréations, elles sont vraiment, à part entière, des institutrices de l'école, et il me semble que l'intégration des classes repose beaucoup sur l'intégration d'abord des institutrices ; ensuite, chacun des enfants, à une ou deux exceptions près, est également intégré dans une classe normale de l'école pour certaines activités. Cette intégration dans les classes normales de l'école peut être tout à fait ponctuelle, cela peut être simplement le fait d'aller à la piscine ; elle peut aussi être définitive. Notre cas unique jusqu'à présent, et cela fait 7 ans que cette classe existe, est un enfant qui a pu réintégrer un CM2, et finalement entrer en 6ème. Mais on a un certain nombre d'enfants qui peuvent suivre un cours de lecture ou de calcul dans une autre classe et quelquefois même participer, à mi-temps, à une classe normale et à la classe spécialisée. Nous envisageons l'année prochaine, avec un petit garçon qui, en ce moment, est en maternelle, qui est très psychotique, mais a de bonnes possibilités intellectuelles, de le faire entrer directement en CP et d'utiliser la classe spécialisée comme un GAPP (il se trouve qu'il n'y a pas de GAPP dans cette école). Tous nos enfants sont donc intégrés, mais il y a aussi un travail dans l'autre sens qui facilite l'intégration des institutrices de l'école, c'est qu'elles peuvent collaborer avec d'autres classes et prendre certains enfants des autres classes pour des activités. Comme chacun de ces enfants est en soin, soit dans des groupes, soit individuellement, comme certains d'entre eux ne fréquentent pas l'école à plein temps, comme chacun d'eux va par ailleurs dans des classes ordinaires pour certaines activités, tout ce système fait que, en règle générale, l'institutrice n'a avec elle, à un moment T de la journée, que trois ou quatre enfants sur les six, ce qui permet une pédagogie extrêmement individualisée. Les liens avec l'école sont très importants pour ces classes. Cela ne nous a pas empêché de continuer à travailler avec les autres classes de perfectionnement avec toujours quelques enfants moins perturbés. Il y a entre ces institutrices et nous une collaboration très étroite et quotidienne qui a lieu sous différentes formes par le fait que ces institutrices viennent dans notre centre deux fois par semaine pour des réunions de travail, mais aussi par le système des accompagnements. Ceci m'amène à parle d'un dernier point. J'ai décrit le système comme ayant quatre pieds, comme un tabouret : souvent, dans les tabourets, il y a des croisillons qui tiennent les pieds entre eux pour que cela s'articule. Tout notre système est ainsi mis en place pour que des communications puissent se faire, c'est-à-dire pour qu'il y ait entre toutes les personnes dont je viens de parler des rencontres, généralement informelles mais les plus fréquentes possible. Pour prendre un exemple : la mère, un matin, amène l'enfant à l'école ; ce faisant, elle rencontre l'institutrice avec qui elle peut avoir un court moment de dialogue. Vers le milieu de la matinée, la soignante va venir à l'école chercher l'enfant, elle va rencontrer l'institutrice, elle va emmener l'enfant dans son bureau, travailler un certain temps avec l'enfant, puis l'enfant va passer dans un groupe. A ce moment-là, elle rencontrera la personne qui s'occupe du groupe, elle peut elle-même (ce qui se passe assez souvent) aller dans le groupe, participer à certaines de ses activités. Le soir, la mère reviendra chercher l'enfant dans le centre de soins, pour en rencontrer les soignantes : voilà un exemple de schéma qui montre qu'il y a toute une circulation des contacts extrêmement réguliers et très importants.


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