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Le couple diagnostic-remédiation : un couple qui ne marche pas en matière éducative.
Propos de Ph. Meirieu en conférence.

Troisième série de remarques : et quand on les a parlées, les difficultés (elles existent il faut les parler) et quand on les a parlées, qu'est-ce qu'on en fait ?

Pendant longtemps on a imaginé que lorsqu'on avait découvert la cause des difficultés, on pouvait trouver la solution. C'est le fameux couple diagnostic-remédiation. Il faut diagnostiquer pour remédier ; ou si vous préférez c'est un implicite pédagogique sur lequel je voudrais discuter quelques minutes : Il faut connaître pour agir. Je ne suis pas sûr que ça marche comme ça en pédagogie. Je ne suis pas sûr qu'il faille connaître pour agir. Et je ne suis pas sûr en particulier qu'il faille s'imaginer qu'on peut aider les élèves en difficulté lorsque l'on a compris toutes leurs difficultés. Alors, quand je dis ça, je choque parfois. Un exemple encore parce que les exemples parlent : j'avais un groupe de suivi des pratiques avec des instituteurs et des institutrices du primaire. On se réunissait tous les 15 jours pour expliquer les problèmes qui se vivaient dans la classe. Une jeune institutrice, de CE2 je crois ou à peu près, il y a 3-4 ans, toutes les réunions, nous explique qu'il y a une petite fille dans la classe qui tous les matins à 8h30, tous les après-midi à 13h30, ne veut pas lâcher la main de sa mère, crie, ne veut pas rentrer dans la classe. Quand elle rentre dans la classe pleure pendant 20 minutes, et cette institutrice est tellement démontée par ça qu'elle dit : " je ne peux plus rien voir d'autre, je ne vois plus que ça, çela m'empêche de dormir, je suis complètement obnubilée ". Et c'est vrai qu'avoir une petite fille qui fait ça, en février je crois, après cette période de l'année, avoir toujours ça dans une classe, c'est très dur pour l'institutrice cet arrachement quotidien aux parents. Alors on a envie d'analyser la difficulté avec l'institutrice, d'où ça peut venir, ça. Et alors ? Quand on a analysé qu'est-ce qu'on fait ? Sûrement qu'il s'est passé quelque chose pour cette gamine. Sûrement qu'il y a un ou deux ans elle a eu simultanément un traumatisme familial, un instituteur qui la brutalisait ou qui lui a fait une réflexion qui, peut-être qu'elle a un père qui ceci ou cela, peut être que manani-manana, sûrement, sûrement, et alors qu'est-ce que je peux y faire moi ? Qu'est-ce que je peux faire à ce qui s'est passé il y a deux ans ? Ce qui s'est passé est passé ! Moi je n'ai pas pouvoir sur ce qui est passé. J'ai analysé, ah je peux analyser, je peux faire des lignes pour analyser pourquoi elle pleure, et alors ?

Et puis un jour dans le groupe, cette institutrice arrive et elle nous dit : " Ah ! Il s'est passé quelque chose de formidable. J'ai fait un truc, un machin dont on avait parlé, là quelqu'un d'autre nous en avait dit un mot, c'était la correspondance scolaire. On a fait un petit journal, qu'on échange avec une autre classe, et puis on a fait du travail de groupe sur les provinces de France, ou je ne sais pas trop quoi, et puis cette petite fille ça l'a intéressée et le lendemain j'ai vu qu'elle pouvait me dire, c'est vrai qu'elle avait encore les larmes aux yeux, mais elle m'a dit : " Madame, est-ce qu'on fera du travail de groupe encore comme on a fait hier ? " Alors est-ce que ça veut dire que la petite fille pleurait parce qu'on ne faisait pas de travail de groupe ? (Rires) Evidemment non ! Ca veut dire simplement que la remédiation c'est pas déductible du diagnostic. Ca veut dire que ce n'est pas en psychologisant à outrance que l'on va résoudre les problèmes des élèves en difficulté, mais en enrichissant notre panoplie méthodologique et pédagogique.
Alain disait ainsi : " Comment saurais-je s'il était musicien, tant que je n'aurais pas tenté de lui apprendre le piano ? Et comment saurais-je que j'ai usé de toutes les méthodes possibles pour lui apprendre à jouer du piano ? "
Et dans les recherches que nous avons faites sur ce que nous appelons la pédagogie différenciée, qu'est-ce que nous observons ? Nous observons que les enseignants qui réussissent à différencier la pédagogie, ce sont ceux non pas qui jouent au psychologue amateur, mais ce sont ceux qui disposent d'assez de remédiations pour lire leur classe en fonction des remédiations qu'ils maîtrisent. Ce qui veut dire, je m'excuse je suis peut être un peu compliqué quand je dis ça, ce qui veut dire que c'est la maîtrise des outils pédagogiques qui permet de repérer dans la classe les élèves qui ont besoins de ces outils et non pas l'inverse.
C'est le fait d'avoir des cordes à son arc, qui permet de repérer des choses et qui permet de tenter des choses avec des élèves qui ne réussissent pas de telle ou telle manière, qui n'accrochent pas, plutôt qu'une sorte de démarche psychologisante mais dans le mauvais sens du terme, qui cherche toujours à épingler, à repérer, à comprendre, sans jamais y arriver d'ailleurs, parce qu'on n'est pas psychologue de formation, sans jamais véritablement comprendre ce qui ce passe, et sans jamais avoir les moyens d'intervenir sur les causes.
On n'a pas les moyens d'intervenir sur les causes, nous, enseignants. Le psychologue a les moyens d'intervenir sur les causes, et il a un métier pour ça. Il a une profession pour ça. Et moi je dis souvent aux enseignants (c'est Oury qui disait cela il y a longtemps) : " Faire de la psychologie en classe c'est à peu près comme faire une opération à cœur ouvert dans un grenier poussiéreux. " C'est-à-dire prendre toutes les chances d'échec, sans avoir ni les conditions, ni la formation pour ça.

Il y a une tendance dans l'aide à aller toujours de chercher. Moi, je me souviens, un jour (je m'excuse de citer beaucoup d'anecdotes mais c'est assez illustratif je crois de mon propos) j'allais chercher ma fille qui était petite à l'époque, je crois qu'elle était en CP, et c'était ce que l'on appelait à l'époque chez nous, ça s'appelle peut-être comme ça ici, c'était " l'heure des mamans ". Il y avait des vraies mamans, puis moi, j'étais une fausse maman (rires). Et alors, il y a la maîtresse qui était là, à la porte, et puis qui explique à une vraie maman que son petit garçon a de grosses difficultés pour apprendre à lire mais que ça ne m'étonne pas parce qu'il lui a expliqué que son père était très souvent absent (rires)… que dans ces conditions-là, la famille était certainement déstructurée et qu'elle ne pouvait pas décemment exercer son métier et lui apprendre à lire et lui garantir qu'il apprendrait à lire…Je suis scandalisé par ça !
D'abord parce que, hors de tout contrôle clinique, un argument psychologique peut toujours être retourné, je peux toujours dire : vous savez le père absent, il est d'autant plus idéalisé qu'il est absent, donc il est d'autant plus présent qu'il est absent ! Parce que toute absence idéalise la présence dans on inverse. Bon ça tout psychologue pourra vous expliquer ça. De gaulle a fait avec l'histoire de Baden, vous vous en souvenez peut-être (rires) : il n'a jamais été plus présent que pendant les trois jours où il n'était pas là. On sait faire ça. Tout le monde sait faire ça. Seul un contrôle clinique peut savoir si c'est une vraie absence ou une absence idéalisée qui se renforce. Donc, la maîtresse, elle n'en sait rien, elle n'est pas psychologue. Elle ne fait pas de thérapie familiale, elle ne sait rien…Et puis, bon sang de bois, son pari à la maîtresse, c'est de dire quoi ? De dire : " je vais lui apprendre à lire quand même ! et non seulement je vais lui apprendre à lire, mais de savoir lire ça l'aidera à résoudre son problème familial "…parce qu'un gamin qui sait lire, il acquiert une autonomie, un pouvoir sur les choses, sur le choix des programmes de télé, sur la lecture du journal, sur des tas de truc qui lui donnent la possibilité de se libérer de toute une série d'astreintes et particulier de se libérer des pressions familiales et de la pathologie familiale qui peut exister. C'est ça, son métier, à l'institutrice, ce n'est pas d'aller chercher des excuses dans la psychologie ! C'est de se dire : " mon boulot, c'est de fabriquer des méthodes, c'est inventer des situations qui vont aider à surmonter la difficulté ". C'est la raison pour laquelle je crois que le couple dianostic-remédiation, qui fonctionne sur le modèle médical, c'est l'idée que l'on diagnostique et puis quand on connaît le mal, on répond, c'est un couple qui ne marche pas en matière éducative. On propose, et puis on voit. Et on ajuste. Et si on n'a qu'une proposition, ben, on laisse toujours les gens au bord de la route. C'est parce qu'on a une multiplicité de propositions, parce qu'on peut proposer des choses différentes, qu'on voit comment les élèves répondent, et on voit progressivement comment les difficultés peuvent être levées. On agit pour connaître plutôt que l'on connaît pour agir.
C'est en ce sens que, je le dis en toute liberté, j'ai quelques réticences à l'égard des grandes machineries évaluatives qui prétendent permettre de manière efficace l'organisation de la remédiation. Ca pourrait être le cas si nous disposions de gens véritablement outillés de manière très différenciée en pédagogie. C'était la troisième série de remarques.

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