Vous
trouverez ci-dessous, les échanges (3) entre Rémi Brissiaud
et Michel Vinais concernant l'article sur le comptage en débat
à l'école maternelle.
Observations de M. Vinais suite à l'article de Rémi Brissiaud
le 12 juillet 2012 à 18h53 (page 5):
- Depuis
plus d'un siècle, nous vivons de "grands balanciers temporels"
de 25 à 30 ans quant aux démarches à mettre en
uvre pour certains apprentissages. Ce fut le cas pour les apprentissages
numériques où au début il ne fallait faire que
du numérique puis un temps plus tard il ne fallait surtout pas
faire de numérique mais d'abord ce qu'on a appelé le pré-numérique
(activités logico-mathématiques) pour ensuite aborder
le numérique etc
jusqu'au moment où il fut question
de faire les deux dès l'école maternelle. Tout cela selon
de bonnes raisons ! Je crains fort qu'une nouvelle alternative se pointe
avec tout comptage ou pas tout comptage, cela faisant environ 25 ans
que le comptage comme activité de dénombrement est préconisé
dès la maternelle. Monsieur Brissiaud, vous proposez un changement
et qui le remettra en cause d'ici quelques années ?
A qui
profitent ces "coups de balanciers", certainement pas aux
élèves ?! Quelle considération des collègues
enseignants qui eux sont au quotidien avec les élèves
et qui doivent donc être le mieux formés et informés
possible.
De ce point de vue, M.Altet (2001) distingue plusieurs modèles
de professionnalité enseignante dont l'enseignant technicien,
l'enseignant ingénieur technologue, l'enseignant professionnel
praticien réfléchi.
-
L'enseignant technicien apparaît avec les écoles normales
puis les IUFM, on se forme au métier par apprentissage imitatif,
les compétences techniques dominent.
- L'enseignant ingénieur technologue rationalise sa pratique
en tentant d'y appliquer la théorie. La formation est menée
par des théoriciens, spécialistes du design pédagogique
ou de la didactique.
- L'enseignant professionnel praticien réfléchi, à
la dialectique théorie-pratique, se substitue un va-et-vient
entre pratique-théorie-pratique. L'enseignant devient un professionnel
réfléchi capable d'analyser ses propres pratiques, de
résoudre des problèmes, d'inventer des stratégies.
La formation s'appuie sur les apports des praticiens et des chercheurs
" *
Je
dois dire que ce dernier type d'enseignant est celui que je privilégierai.
*(pp 30-31 Les compétences de l'enseignant professionnel
).
- Cela fait quelques décennies que vous travaillez à cet
obstacle, je me rappelle vous avoir entendu lors d'une de vos interventions
au début des années 90 alors que vous étiez à
l'IUFM de Cergy, me semble t-il, et moi-même au Centre National
d'Etude et de Formation de l'Adaptation Scolaire et de l'Enseignement
Spécialisé (CNEFASES) de Beaumont sur Oise qui a rejoint
depuis l'INS HEA de Suresnes. Il ne me semble pas avoir perçu
de consensus qui aurait amené un ralliement important de chercheurs
et professionnels pour proposer un changement dans cette approche pédagogique
du comptage-dénombrement.. (Cf observations de Guy Morel sur
le site du CRAP)
- Le changement que vous proposez me semble trop radical. Au sein de
l'ASH le comptage comme procédure de quantification (CF Klarh
et Wallace) associé à d'autres activités donnent
des résultats intéressants pour ne pas dire positifs dans
le cadre de remédiations chez des élèves en difficultés
voire en grande difficulté dans le champ du numérique.
- Toute approche, quelle qu'elle soit, présente des avantages
et des inconvénients c'est le cas de compter à la tchou,
de picbille, du matériel cuisenaire etc. l'important c'est de
ne pas agir sans le savoir afin d'interpeller l'acte pédagogique
et de ce point de vue vos observations sur le comptage-numérotage
et le comptage-dénombrement comme vous l'appelez me semblent
intéressantes mais faut-il les opposer et en arriver à
la règle du tout ou rien ? Je n'en suis absolument pas persuadé.
-
Si je prends le comptage comme procédure de quantification telle
qu'ont pu le définir Klarh et Wallace, le principal obstacle
d'accès au dénombrement porte sur le dernier terme énoncé
(cardinal de la collection) qui demande de la part du sujet une "révolution
mentale", dixit S. Dehaene, cité dans votre article. Pour
ma part, je dirai que cela demande une réorganisation totale
des connaissances du sujet qui s'opère grâce à l'abstraction
réfléchissante de type réflexion. La question centrale
est comment permettre cette réorganisation et le comptage-dénombrement
que vous proposez pourrait en être un vecteur parmi d'autres.
Et pour terminer :
-
une formation des enseignants suffisamment complète pour comprendre
les difficultés, les obstacles pour intervenir et en faire des
" professionnels praticiens réfléchis "
- Peut-on nier que notre numération est à la fois ordinale
et cardinale ? Question de contextes à travailler (Cf travaux
canadiens)
- Eviter la politique du tout ou rien, d'autant que le comptage n'est
qu'un élément dans le champ du numérique
Michel
VINAIS
Réponse
de Rémi Brissiaud :
Lenseignement
du comptage en débat, 26 septembre, 12:30, par Rémi Brissiaud
Tout
dabord, pardon pour cette réponse tardive : vacances puis
rentrée chargée.
Je comprends mal le reproche de "radicalité" que vous
me faites : avancer lidée quil faut enseigner le
comptage-dénombrement et non le comptage-numérotage, ce
nest pas être dans le "tout ou rien" puisquil
sagit de faire évoluer lenseignement du comptage
et non de le bannir.
Je comprends encore plus mal lidée selon laquelle je serais
à lorigine de "coups de balanciers". En effet,
comme vous le notez, jessayais dès 1989 (parution de "Comment
les enfants apprennent à calculer") dalerter sur les
dangers de lenseignement du comptage-numérotage et, donc,
il ny a guère dévolution de ma part (le mode
dexpression a évolué, les idées fondamentales,
non).
En revanche, mes collègues chercheurs états-uniens, eux,
évoluent. Bien des recherches ont été publiées
depuis Klahr dont les principales publications se situent dans les années
70-80. Après avoir longtemps considéré que la compréhension
du comptage est pratiquement innée et, donc, que son enseignement
le plus tôt possible et le plus loin possible va de soi, la majorité
des chercheurs états-uniens considèrent aujourdhui
quil convient avant tout de faire comprendre les premiers nombres
aux enfants et ils parlent, eux, de rupture dans la façon dont
eux-mêmes et, donc, les éducateurs devraient concevoir
le progrès des élèves (cest leur conception
de lenseignant, pas la mienne). Sarnecka, par exemple, une des
principales chercheuses actuelles dans le domaine, termine un article
sous presse de la façon suivante : « Cest dans le
domaine de léducation que cette recherche devrait avoir
des conséquences importantes. Un des principaux but de léducation
préscolaire (peut-être le principal but) devrait être
de sassurer que tous les enfants comprennent les premiers nombres.
Les enfants qui nont pas les concepts de cardinalité, ditération
et de conservation ne savent pas ce que sont les nombres ». Quels
changements ! Mais je ny suis pour rien : jalertais dès
1989 sur un inévitable « coup de balancier » à
venir si lon sinspirait avec insuffisamment de recul critique
des travaux publiés aux USA à lépoque.
Je me rappelle très bien que le centre de formation ASH à
Beaumont a été un fer de lance de la réhabilitation
de lenseignement du comptage-numérotage en France : il
apparaît clairement que cest ce « coup de balancier
» là quil aurait fallu éviter.
Réponse
de Michel Vinais à Rémi Brissiaud le 8 octobre 2012 à
13h48
Monsieur
Brissiaud,
D'abord
merci de votre réponse, si ce n'est que je crains fort que ce
ne soit qu'une non réponse
s'il nous faut citer nos sources
externes et je peux le faire comme vous, cela peut -être intéressant
mais non suffisant, ni déterminant ; d'autre part je n'entrerai
pas sur le discours de savoir si le centre national eut été
" le fer de lance " de cette approche car ce qui m'intéresse
dans notre échange c'est le sujet apprenant, celui qui ne fait
jamais n'importe quoi mais toujours ce que ses structures du moment
lui permettent d'agir.
Et je confirme ce que j'ai écrit lors de ma première réaction
: il me semble que vous proposez un vecteur complémentaire d'accès
à la cardinalité en favorisant la réorganisation
des connaissances chez l'enfant mais j'ai bien dit complémentaire,
complémentaire à l'activité de comptage. C'est
pour cela que je vous parlais du tout ou rien, ce sont les deux approches
qui permettent au sujet de conceptualiser. Et je reprendrai ici le titre
de recherches et surtout d'articles publiés depuis dix ans "
Le comptage et la cardinalité, deux apprentissages de longue
haleine qui évoluent en interaction ".
Michel
Vinais