L'enseignement du comptage en débat à l'école maternelle.
Cahiers Pédagogiques N° 498


Vous trouverez ci-dessous, les échanges (3) entre Rémi Brissiaud et Michel Vinais concernant l'article sur le comptage en débat à l'école maternelle.

Observations de M. Vinais suite à l'article de Rémi Brissiaud le 12 juillet 2012 à 18h53 (page 5):

- Depuis plus d'un siècle, nous vivons de "grands balanciers temporels" de 25 à 30 ans quant aux démarches à mettre en œuvre pour certains apprentissages. Ce fut le cas pour les apprentissages numériques où au début il ne fallait faire que du numérique puis un temps plus tard il ne fallait surtout pas faire de numérique mais d'abord ce qu'on a appelé le pré-numérique (activités logico-mathématiques) pour ensuite aborder le numérique etc… jusqu'au moment où il fut question de faire les deux dès l'école maternelle. Tout cela selon de bonnes raisons ! Je crains fort qu'une nouvelle alternative se pointe avec tout comptage ou pas tout comptage, cela faisant environ 25 ans que le comptage comme activité de dénombrement est préconisé dès la maternelle. Monsieur Brissiaud, vous proposez un changement et qui le remettra en cause d'ici quelques années ?… A qui profitent ces "coups de balanciers", certainement pas aux élèves ?! Quelle considération des collègues enseignants qui eux sont au quotidien avec les élèves et qui doivent donc être le mieux formés et informés possible.
De ce point de vue, M.Altet (2001) distingue plusieurs modèles de professionnalité enseignante dont l'enseignant technicien, l'enseignant ingénieur technologue, l'enseignant professionnel praticien réfléchi.

- L'enseignant technicien apparaît avec les écoles normales puis les IUFM, on se forme au métier par apprentissage imitatif, les compétences techniques dominent.

- L'enseignant ingénieur technologue rationalise sa pratique en tentant d'y appliquer la théorie. La formation est menée par des théoriciens, spécialistes du design pédagogique ou de la didactique.

- L'enseignant professionnel praticien réfléchi, à la dialectique théorie-pratique, se substitue un va-et-vient entre pratique-théorie-pratique. L'enseignant devient un professionnel réfléchi capable d'analyser ses propres pratiques, de résoudre des problèmes, d'inventer des stratégies. La formation s'appuie sur les apports des praticiens et des chercheurs " *

Je dois dire que ce dernier type d'enseignant est celui que je privilégierai.

*(pp 30-31 Les compétences de l'enseignant professionnel…).

- Cela fait quelques décennies que vous travaillez à cet obstacle, je me rappelle vous avoir entendu lors d'une de vos interventions au début des années 90 alors que vous étiez à l'IUFM de Cergy, me semble t-il, et moi-même au Centre National d'Etude et de Formation de l'Adaptation Scolaire et de l'Enseignement Spécialisé (CNEFASES) de Beaumont sur Oise qui a rejoint depuis l'INS HEA de Suresnes. Il ne me semble pas avoir perçu de consensus qui aurait amené un ralliement important de chercheurs et professionnels pour proposer un changement dans cette approche pédagogique du comptage-dénombrement.. (Cf observations de Guy Morel sur le site du CRAP)

- Le changement que vous proposez me semble trop radical. Au sein de l'ASH le comptage comme procédure de quantification (CF Klarh et Wallace) associé à d'autres activités donnent des résultats intéressants pour ne pas dire positifs dans le cadre de remédiations chez des élèves en difficultés voire en grande difficulté dans le champ du numérique.

- Toute approche, quelle qu'elle soit, présente des avantages et des inconvénients c'est le cas de compter à la tchou, de picbille, du matériel cuisenaire etc. l'important c'est de ne pas agir sans le savoir afin d'interpeller l'acte pédagogique… et de ce point de vue vos observations sur le comptage-numérotage et le comptage-dénombrement comme vous l'appelez me semblent intéressantes mais faut-il les opposer et en arriver à la règle du tout ou rien ? Je n'en suis absolument pas persuadé.

- Si je prends le comptage comme procédure de quantification telle qu'ont pu le définir Klarh et Wallace, le principal obstacle d'accès au dénombrement porte sur le dernier terme énoncé (cardinal de la collection) qui demande de la part du sujet une "révolution mentale", dixit S. Dehaene, cité dans votre article. Pour ma part, je dirai que cela demande une réorganisation totale des connaissances du sujet qui s'opère grâce à l'abstraction réfléchissante de type réflexion. La question centrale est comment permettre cette réorganisation et le comptage-dénombrement que vous proposez pourrait en être un vecteur parmi d'autres.

Et pour terminer :

- une formation des enseignants suffisamment complète pour comprendre les difficultés, les obstacles pour intervenir et en faire des " professionnels praticiens réfléchis "
- Peut-on nier que notre numération est à la fois ordinale et cardinale ? Question de contextes à travailler (Cf travaux canadiens)
- Eviter la politique du tout ou rien, d'autant que le comptage n'est qu'un élément dans le champ du numérique…

 

Michel VINAIS

Réponse de Rémi Brissiaud :

L’enseignement du comptage en débat, 26 septembre, 12:30, par Rémi Brissiaud

Tout d’abord, pardon pour cette réponse tardive : vacances puis rentrée chargée.
Je comprends mal le reproche de "radicalité" que vous me faites : avancer l’idée qu’il faut enseigner le comptage-dénombrement et non le comptage-numérotage, ce n’est pas être dans le "tout ou rien" puisqu’il s’agit de faire évoluer l’enseignement du comptage et non de le bannir.
Je comprends encore plus mal l’idée selon laquelle je serais à l’origine de "coups de balanciers". En effet, comme vous le notez, j’essayais dès 1989 (parution de "Comment les enfants apprennent à calculer") d’alerter sur les dangers de l’enseignement du comptage-numérotage et, donc, il n’y a guère d’évolution de ma part (le mode d’expression a évolué, les idées fondamentales, non).
En revanche, mes collègues chercheurs états-uniens, eux, évoluent. Bien des recherches ont été publiées depuis Klahr dont les principales publications se situent dans les années 70-80. Après avoir longtemps considéré que la compréhension du comptage est pratiquement innée et, donc, que son enseignement le plus tôt possible et le plus loin possible va de soi, la majorité des chercheurs états-uniens considèrent aujourd’hui qu’il convient avant tout de faire comprendre les premiers nombres aux enfants et ils parlent, eux, de rupture dans la façon dont eux-mêmes et, donc, les éducateurs devraient concevoir le progrès des élèves (c’est leur conception de l’enseignant, pas la mienne). Sarnecka, par exemple, une des principales chercheuses actuelles dans le domaine, termine un article sous presse de la façon suivante : « C’est dans le domaine de l’éducation que cette recherche devrait avoir des conséquences importantes. Un des principaux but de l’éducation préscolaire (peut-être le principal but) devrait être de s’assurer que tous les enfants comprennent les premiers nombres. Les enfants qui n’ont pas les concepts de cardinalité, d’itération et de conservation ne savent pas ce que sont les nombres ». Quels changements ! Mais je n’y suis pour rien : j’alertais dès 1989 sur un inévitable « coup de balancier » à venir si l’on s’inspirait avec insuffisamment de recul critique des travaux publiés aux USA à l’époque.
Je me rappelle très bien que le centre de formation ASH à Beaumont a été un fer de lance de la réhabilitation de l’enseignement du comptage-numérotage en France : il apparaît clairement que c’est ce « coup de balancier » là qu’il aurait fallu éviter.


Réponse de Michel Vinais à Rémi Brissiaud le 8 octobre 2012 à 13h48

Monsieur Brissiaud,

D'abord merci de votre réponse, si ce n'est que je crains fort que ce ne soit qu'une non réponse… s'il nous faut citer nos sources externes et je peux le faire comme vous, cela peut -être intéressant mais non suffisant, ni déterminant ; d'autre part je n'entrerai pas sur le discours de savoir si le centre national eut été " le fer de lance " de cette approche car ce qui m'intéresse dans notre échange c'est le sujet apprenant, celui qui ne fait jamais n'importe quoi mais toujours ce que ses structures du moment lui permettent d'agir.
Et je confirme ce que j'ai écrit lors de ma première réaction : il me semble que vous proposez un vecteur complémentaire d'accès à la cardinalité en favorisant la réorganisation des connaissances chez l'enfant mais j'ai bien dit complémentaire, complémentaire à l'activité de comptage. C'est pour cela que je vous parlais du tout ou rien, ce sont les deux approches qui permettent au sujet de conceptualiser. Et je reprendrai ici le titre de recherches et surtout d'articles publiés depuis dix ans " Le comptage et la cardinalité, deux apprentissages de longue haleine qui évoluent en interaction ".

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